Tom OdellVar.inter, Pop, Rock » Variétés internationales
dimanche 28 janvier 2024 12:15
Tom Odell en interview : "Chez Columbia, je ne me sentais pas très respecté"
Par
Théau BERTHELOT
| Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Tom Odell est de retour avec "Black Friday", un sixième album aussi intime qu'émouvant. De son indépendance artistique à ses nouvelles chansons personnelles et mélancoliques, en passant par le succès viral de "Another Love", la star anglaise se confie en interview à Purecharts.
Crédits photo : Rory Langdon-Down
Propos recueillis par Théau Berthelot. Comment considères-tu ta musique ? Dans le communiqué, tu dis cette phrase : "La scène alternative trouve que je fais de la pop, et les gens de la pop pensent que je suis un artiste alternatif". Le fait de ne pas savoir où te ranger dans une case, c'est positif ou négatif à tes yeux ? Probablement un peu des deux. Je pense que ce qui m'a toujours motivé, c'est que je n'ai jamais vraiment appartenu à un "camp", un genre. Mais ce sentiment semble être commun à de nombreux artistes. Peut-être qu'on ressent tous la même chose... Avec toute cette histoire de "genre", l'une des bonnes choses que le streaming a apporté à la musique, et il y en a, c'est qu'il a fait du genre musical quelque chose de superflu. C'est quelque chose de positif car sinon c'est un peu réducteur de définir chaque artiste dans un sous-genre. C'est bien plus libre aujourd'hui ! Et même si les gens apprécient toujours certains genres, on peut voir une artiste comme Billie Eilish, qui est une des plus grosses popstars dans le monde aujourd'hui, alors qu'elle fait des chansons avec des sujets assez durs. C'est une belle chose, ça me redonne foi en ce monde. Le fait de ne plus être signé chez Columbia, une grande maison de disques, mais en indépendant, ça t'a apporté plus de liberté ? Je pense que c'est le cas, et je suis toujours réticent à dire ça. Parce que j'ai l'impression de dire, à travers ça, que mes précédents albums n'étaient pas de mon fait. Aujourd'hui, j'ai mon propre studio, on a notre propre label avec une équipe composée de très peu de personnes en qui j'ai totalement confiance. C'est vraiment agréable car je travaille toujours avec les mêmes personnes. Je pense que ça enlève beaucoup de pression ou de choses négatives, comme le fait de faire sans cesse la promotion de mes chansons et de faire le tour du monde. Aujourd'hui, ce n'est pas si fréquent que je vienne faire ces interviews, donc ça rend ce moment entre nous si spécial (rires). Je n'ai jamais appartenu à un genre "Black Friday" est ton troisième album en l'espace de deux ans et demi. Tu enchaînes assez rapidement, est-ce que tu es plus inspiré ces dernières années ?En fait, une partie de la réponse est liée à ta précédente question. Quand j'étais signé chez Columbia, j'étais toujours dans une queue. Je devais toujours attendre, alors qu'aujourd'hui, ce n'est plus le cas car je peux sortir ce que je veux, quand je veux. Et je suis désormais à un moment où je ressens que je suis moins obsédé par certaines chansons, je préfère les laisser partir dans le monde. J'accepte qu'elles aient des imperfections et ça me fait les apprécier davantage. Ça veut dire que je sors plus de musique... Une partie vient de moi, l'autre vient du fait de mon temps passé chez Columbia qui, à la fin, n'était pas particulièrement plaisant. Je ne me sentais pas très respecté comme artiste. C'était un vrai soulagement quand je suis parti et c'est pour ça que je sors beaucoup de musique. Tu dis que tu ne te sentais pas respecté, c'est-à-dire ? Vers la fin de notre collaboration, ils n'étaient pas très encourageants, spécialement au Royaume-Uni. Les gens n'étaient pas très sympas. Je me souviens y être allé pour faire écouter mon album à quelqu'un de haut placé, et il a passé son temps sur son téléphone à envoyer des messages ou appeler des gens. Il n'était pas du tout intéressé. En tant qu'artiste, ça crée de l'insécurité et c'est quelque chose dont nous nous soucions beaucoup. Notre but, c'est de monter sur scène car nous nous soucions de ce que pensent les gens. Et j'ai trouvé ça très blessant. Donc quand je suis parti, c'était un grand soulagement et soudainement je me sentais très inspiré et je n'ai pas arrêté d'écrire depuis. Chez Columbia, je devais toujours attendre mon tour A l'écoute de l'album, j'ai l'impression qu'il y a une dualité avec un côté à la fois assez sombre et cinématographique avec ces cordes très présentes...Je dirais que c'est surtout l'album sur lequel les paroles sont le plus mises en avant. Mais c'est assez difficile d'en parler : il y a beaucoup d'histoires dans ce disque, qui parlent de relations entre les gens mais aussi avec moi-même. C'est semi-autobiographique et semi-fictionnel, ce que je fais très souvent. Tu es inspiré par tes propres sentiments mais j'aime aussi me voir comme un écrivain et j'aime écrire à travers plusieurs personnages. La plupart du temps, j'essaie de ne pas faire trop faire de prises. Souvent, c'est la première prise qui est gardée : je m'assois devant mon piano ou je prends ma guitare, et c'est cette prise qui est gardée. On n'utilise pas de métronome, c'est assez libre et une façon authentique d'enregistrer. Il y a des bouts qui semblent être des erreurs et d'autres qui sont plus consolidés, mais ce n'est jamais surchargé. On parlait du fait de ne pas savoir où te ranger dans une case, je trouve que ça se ressent dans cet album qui est assez éclectique. On passe d'un "Black Friday" très sobre et avec un final rock à "Loving You Will Be The Death Of Me", plus pop et rythmé, assez radiophonique, à des ballades, des titres plus orchestraux... Il y a certaines choses qui relient le tout. Notamment une guitare que j'ai achetée en janvier dernier. Je suis parti en voyage avec ma désormais femme en Nouvelle-Zélande. Quand je suis revenu à Londres, j'ai acheté une guitare qui datait des années 30 et qui est se retrouve sur toutes les chansons. J'ai l'impression que cet album est centré autour de cette guitare. L'autre truc, c'est que tout a été enregistré dans une seule pièce, qui devait être au moins deux fois plus petite que la pièce où nous sommes. Tout a le son très particulier de cette pièce. Mais oui, il y a différentes parties dans l'album, des couleurs différentes. Mais il y a toujours un équilibre entre le fait de dérouler une histoire et le fait de ne pas aller trop loin. C'est d'ailleurs un album assez court puisqu'il dure 28 minutes. Il y a une envie d'aller à l'essentiel ? C'est vrai ? Je n'ai même pas calculé (sourire). Je ne sais pas si c'est lié à ma propre capacité d'attention, le fait qu'on soit toujours sollicités par nos téléphones... Mais je préfère que les choses soient plus courtes que longues. Je ne sais pas si c'est parce que je passe beaucoup trop de temps sur Instagram ou TikTok... Mais même dans les actualités, tout est tellement si court et rapide, tout se réduit et ne s'allonge pas. A part peut-être les films de Scorsese (rires). Mais peut-être que les choses sont plus courtes car l'attention des gens est réduite... Aussi, sur mes derniers albums, dans ce que j'écoute ou ce que je compose, je n'aime pas vraiment les répétitions. Il n'y a pas beaucoup de refrains qui se répètent sur l'album. Si c'est le cas, c'est uniquement parce que j'ai plus de mots à dire ou plus d'idées. C'est la grande différence par rapport à il y a 10 ans. A l'époque, j'écrivais des refrains qu'on répétait en boucle car c'est ce qu'on faisait. Aujourd'hui, je suis mal à l'aise quand j'entend un refrain en boucle. Je préfère que la chanson se termine plutôt que d'entendre ça en boucle. Souvent, c'est la première prise qui est gardée Ce qui m'a étonné, c'est que le disque contient beaucoup d'interludes, comme des respirations ou des mouvements... Imagine à quel point ça aurait été long sans les interludes (rires). Je pense que c'est vraiment une exploration. Il y a beaucoup de mots sur cet album et, comme je le disais, peu ou pas de répétition. C'est une expérience intense que d'écouter tous ces mots. Pour moi, c'est bien d'avoir des moments silencieux, comme si j'avais des moments pour réfléchir et tout recommencer. C'est bien d'avoir une histoire, mais c'est aussi bien d'avoir un moment pour digérer tout ça. C'est pour ça qu'il y autant d'interludes... et ça fait durer l'album plus longtemps ! L'album est assez intime et mélancolique, parlant beaucoup de rupture. C'est inspiré de tes propres expériences ? Je dirais que sur la dernière partie de l'album, il y a un sentiment de perte... Quand je chante "The End of Summer" ou "Nothing Hurts Like Love", c'est le sentiment que quelque chose est parti, que quelque chose se meurt. Et la première partie de l'album explore des relations. Dans mon expérience, l'amour est ce qui fait tourner le monde. Dire ça pourrait paraître idiot, qu'un monde sans amour c'est comme un monde sans oxygène, ça ne marchait pas. Mais ce dont parle mon album, et beaucoup de mes chansons, c'est que quand l'amour est détruit... C'est comme la chanson de Joy Division, "Love Will Tear Us Apart", l'amour nous déchirera. Je dirais qu'il y a de l'altruisme dans le fait d'aimer quelqu'un, une destruction de l'ego. Peut-être que c'est une réaction à ce monde "Instagram" et très égoïste dans lequel nous vivons actuellement. Si cet amour ne marche pas pour moi, alors ça ne va pas le faire. Pour moi, c'est la chose la plus intéressante dans le fait de voir deux personnes s'aimer, c'est l'opposé, ce qui arrive pour beaucoup de monde. C'est le désordre dans tout ça, ce dont est question tout grand art. C'est assez effrayant de s'ouvrir à l'autre, d'être attentionné envers l'autre. C'est l'album où les paroles sont le plus mises en avant Impossible de ne pas évoquer l'énorme succès que continue à connaître ton tube "Another Love", notamment sur TikTok. Qu'est-ce que ça te fait ?C'est fou ! J'ai un certain détachement à ce sujet. C'est assez dingue et difficile d'imaginer qu'il y a tant de personnes qui ont écouté cette chanson. Le mieux, c'est vraiment quand tu la joues en concert car les gens ne la chantent pas, ils la hurlent, et ça me fait toujours sourire. C'est un privilège vraiment incroyable que d'avoir une chanson dans laquelle tant de personnes peuvent se reconnaître. Et quand je me sens déprimé, faible ou que j'ai l'impression que je n'ai plus de succès, ce qui m'arrive souvent, j'appelle mon manager et je lui demande les chiffres de "Another Love" (rires). Le player Dailymotion est en train de se charger...
Quand je suis déprimé, je demande les chiffres de "Another Love" Comment expliques-tu que cette chanson marque autant les gens ?C'est au-delà du compositeur d'expliquer ça car tu dois comprendre le monde entier pour savoir pourquoi ça marche. Ce qui est sûr, c'est que c'est une bonne chanson et que j'en suis fier en tant que compositeur, j'ai pris beaucoup de soin à l'écrire. Ce que je dis dans cette chanson, c'est vraiment ce que j'ai ressenti mais c'est difficile de dire pourquoi cette chanson plutôt que tant d'autres. Mais c'est vraiment surprenant de la voir revenir tant ces dernières années... Le moment qui m'a vraiment halluciné, c'est quand ils l'ont diffusé juste avant un concert de Coldplay, et tout le stade l'a chanté. C'était vraiment impressionnant ! La chanson a été notamment utilisée dans des vidéos pacifistes pendant la Guerre en Ukraine. Ça montre qu'une chanson peut, malgré elle, devenir politique. Bien sûr ! Ecoute, tout ce que tu peux faire en tant qu'auteur, c'est partager tes propres sentiments. C'est une vraie leçon que d'éviter de forcer les gens à écouter tes chansons... En tant que chanteur ou auteur, il y a toujours cette tentation, quand une chanson ou un album sort, et que tu veux tellement que ça marche. De ça, tu apprends que ce que tu fais est généralement quelque chose qui échappe à ton contrôle quand tu sors une chanson, car c'est le monde qui décide, pas toi. Ce sera difficile d'écrire une autre chanson comme "Another Love" C'est difficile d'être toujours rattaché à ce titre quand on défend un nouvel album ? Non, pas vraiment... Je pourrais peut-être imaginer un monde où ça devient comme ça mais ça me fait me sentir bien. Le fait que des gens s'intéressent à ma musique, c'est très gratifiant. Je ne me sens pas défini par cette chanson, mais je suis sûr que ce sera difficile d'écrire une autre chanson comme ça. Donc ça me va... Et, pour être très honnête avec toi, ça me permet d'avoir une carrière et de continuer à faire de la musique. Si je n'aimais pas la chanson, ce serait plus difficile. Mais au moins, ça t'amène beaucoup de monde. Et on voit qu'ici à Paris, ton concert vient d'être déplacé de la Salle Pleyel au Zénith, une salle trois fois plus grande ! Ça montre que tu es probablement à ton pic de popularité. Peut-être ! Ces dernières années ont été vraiment formidables, mais je ne pense pas que ce soit que ça. Les gens qui viennent à mes concerts sont déjà venus à de nombreux concerts au fil des ans. Ça a grandi au fil du temps, ça ne s'est pas fait en un jour. J'ai la chance de pouvoir faire ça, et surtout après la crise sanitaire. Pendant le confinement, je me suis vraiment demandé si j'allais pouvoir continuer car ça me semblait si lointain, donc j'ai vraiment de la chance !
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