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Thomas Jolly en interview : "Beaucoup connaissent Starmania mais pas son histoire"

Par Julien GONCALVES | Rédacteur en chef
Enfant des années 80 et ex-collectionneur de CD 2 titres, il se passionne très tôt pour la musique, notamment la pop anglaise et la chanson française dont il est devenu un expert.
"Starmania" vient de s'achever à la Seine Musicale après trois mois de triomphe. En interview sur Purecharts, le metteur en scène Thomas Jolly se confie sur la pression et le succès, son travail ambitieux pour revisiter le spectacle de Michel Berger et Luc Plamondon, la tournée en province et les coulisses du show, déjà vu par plus de 300.000 spectateurs.
Crédits photo : Anthony Dorfmann
Propos recueillis par Julien Gonçalves.

Quel bilan faites-vous de ces trois mois de "Starmania" à Paris ?
C'est chaque soir une émotion très grande de voir s'assembler le public à la Seine Musicale. Ce qui me bouleverse, et c'est absolument sincère, c'est de constater à quel point les gens sont émus dès l'entrée. "Starmania" ça leur appartient, il y a quelque chose de l'ordre du patrimoine intime de chacun. Et quand ils arrivent à la Seine Musicale, qu'ils s'installent, on sent une espèce d'enthousiasme, d'émotion d'être là. Dès les premières notes, les gens sont en applaudissement, je vois des gens pleurer. C'est vraiment très bouleversant de voir l'impact, avec un si grand nombre, de l'oeuvre sur les gens. Et l'autre chose qui me ravit, après tout ce que j'ai pu lire ou des commentaires sur les réseaux ou en réel, c'est que ceux qui connaissaient l'oeuvre la redécouvrent et ceux qui ne la connaissaient pas la découvrent, et ça crée entre les générations tout un travail de transmission d'une oeuvre qui a 40 ans et qui continue de s'adresser à chacun et chacune. C'est très vivifiant ce qu'il se passe.

"Starmania" est une oeuvre extrêmement exigeante
Ça a été une pression de s'attaquer à "Starmania", qui fait partie du patrimoine français ?
(Rires) Pour être tout à fait honnête avec vous, je ne m'étais pas rendu compte. J'ai travaillé "Starmania" avec une pression qui est celle de l'exigence artistique, et que l'oeuvre me commande. C'est une oeuvre extrêmement exigeante. Donc j'y ai mis le meilleur de moi-même comme j'essaie de le faire à chaque fois. Mais je n'avais pas réalisé. J'ai pu travailler avec Luc Plamondon, il m'a ouvert ses archives, j'ai recomposé le livret avec lui, et en travaillant avec Raphaël Hamburger, le fils de Michel Berger et France Gall, mais aussi Bruck Dawit, le dernier compagnon de France Gall, j'ai aussi pu avoir accès aux bandes originales, aux enregistrements. J'étais presque comme un archéologue dans l'oeuvre. Je l'ai apprivoisée de l'intérieur quoi. Donc non je n'avais beaucoup de pression.

Vous avez pu voir le show d'origine ?
Alors, je n'étais pas né Julien ! (Rires)

Non mais peut-être via les archives de Luc Plamondon ou du fils de Michel Berger et France Gall...
C'est ça qui est génial, c'est que le show d'origine n'existe pas. On ne sait pas à quoi ça ressemblait. Il y a des photos et il y a un tout petit bout de vidéo qui traîne, une captation sur le côté où on voit France Gall à un moment... Et d'ailleurs je pense que c'est l'une des chances de "Starmania". La version originale, personne n'en a la trace, donc elle peut se réinventer à chaque mise en scène.

Le spectacle d'origine est presque foutraque
J'ai eu la chance de voir le spectacle deux fois à la Seine Musicale, et j'ai été subjugué par le résultat. Comment vous avez fait pour moderniser l'oeuvre tout en en gardant l'ADN ?
L'idée c'était de revenir aux origines. Je voulais recapter l'énergie de cette bande de jeunes trentenaires qui ont quand même inventé un genre musical nouveau en France, avec un format complètement dingue. Ça durait 2h45, c'était presque foutraque mais au sens joyeux et artistique du terme. Un peu comme le film "Babylon" de Damien Chazelle. C'était très généreux, hybride, alternatif, audacieux. C'est pour ça que j'ai été rechercher plein de titres que "Starmania" avait effacé en 89 et 93. C'est un peu comme si "Starmania" s'était calibré après 79. Et pour moderniser, il n'y a pas grand-chose à faire car le livret reste d'une brûlante actualité. Par contre, musicalement, Victor le Masne, le directeur musical, a eu le génie d'avoir su capter l'identité, même l'âme musicale de Michel Berger, tout en l'inscrivant absolument en 2022-2023. Quand je réécoute le disque bleu, c'est très étonnant de voir à quel point c'est exactement la même chose et pourtant ça n'a rien à voir.

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Les chansons n'avaient pas besoin de moi pour continuer à être légendaires
Justement, la musique vous a beaucoup influencé j'imagine. Vous avez beaucoup écouté les morceaux ? Comment ça se passe dans votre tête quand vous créez le spectacle ?
Moi mon objectif premier c'était de réinscrire les chansons dans un écrin scénographique propice à enfin écouter un peu ce que raconte cette histoire. Parce que beaucoup de gens connaissent "Starmania", mais peu de gens connaissent l'histoire ou les contextes narratifs de l'intrigue dans lesquels s'inscrivent les chansons. Il y a plein de gens qui ne savent pas que "Starmania" c'est une émission pour devenir star par exemple. Ça, ça a été mon objectif, estimant aussi que les chansons n'avaient pas besoin de moi pour continuer à être légendaires. Donc il fallait inscrire un univers scénographique pour faire entendre les textes. Donc c'est une construction de dramaturgie, de scénographie, avec la lumière, les décors pour essayer de créer les meilleures conditions. C'est beaucoup de réunions, de moodboards, de dessins, de plans, de visuels en 3D pour tester des choses. Quand on a commencé les répétitions, j'avais mon écrin matériel-scénique, après il a fallu mettre les artistes et interprètes à la mesure de l'écrin que je leur avais confectionné.

Ce qui m'a le plus frappé en voyant "Starmania" ce sont les lumières, qui sont même un personnage à part entière du spectacle. A quel point elles ont été importantes dans la création ?
Alors déjà c'est un outil que j'adore utiliser dans tous mes spectacles. C'est vraiment pour moi comme de la peinture.

C'est vrai que parfois on a l'impression de voir un tableau...
Je suis très content que vous me disiez ça parce que c'est exactement comme ça que je réfléchis. Je pense que c'est mon outil préféré. Ici, si on regarde bien, c'est presque une réécriture du mythe d'Icare. Il cherche à s'échapper du labyrinthe de dédales avec les ailes en cire, et s'approchant trop près du soleil, il tombe. Là, le dédale c'est Monopolis, une ville labyrinthique. Il y a beaucoup de personnages qui ne se rencontrent pas. Ils vont essayer d'en sortir, et malheureusement ils vont monter sur la plus haute tour de l'Occident en prenant tous des chemins d'exposition, de starification ou même devenir le président... Tous avec un rêve de gloire. Et tous vont se brûler les ailes. La lumière était à la fois ce qui les attirait, ce qui permettait de les révéler, mais aussi ce qui allait les condamner. C'est pour ça que j'ai créé une cage, de lumière. Vous avez raison c'est un personnage parce que c'est leur moteur.

J'avais envie de rendre hommage à Michel Berger et France Gall
Il y a des hommages très émouvants à Michel Berger et France Gall dans le spectacle. C'est venu comment ?
J'avais très envie de ces hommages-là. J'avais envie de commencer par un piano vide, un piano blanc qui tourne dans l'espace, qui serait abandonné. Le compositeur n'étant plus là, il joue quand même. Je trouvais que c'était un clin d'oeil logique. Sur le "Monopolis" que reprend France Gall, qui intervient derrière la reprise de Johnny et Cristal dans le café, parfois il y a des juke-box où on peut entendre la voix d'une idole... Quand elle dit par exemple "Dans les villes de l'an 2000, marcherons-nous main dans la main ?", je trouvais qu'il y avait une espèce de nostalgie terrible et saisissante de pouvoir entendre France Gall chantant depuis 1978 et nous qui l'écoutons en 2022.



A propos de la conception du spectacle, vous avez dit : "Je me suis tellement lâché que je suis arrivé à un deuxième projet, complètement infaisable". Il ressemblait à quoi ?
(Rires) Alors c'était un projet où j'avais reconstitué une rue de Monopolis, et les spectateurs étaient installés de part et d'autre. C'est ce qu'on appelle le bi-frontal. Il y avait une énergie rock au sens où j'avais mis la scène au milieu des spectateurs. Mais il fallait revoir quasiment les architectures des salles, car avec le bi-frontal, il fallait mettre deux gradins de chaque côté d'une scène, dans des salles conçues pour être en frontal, donc tout le monde dans le même sens. C'était compliqué. Mais c'était un super projet !

Le succès n'était pas forcément gagné d'avance. Vous aviez une pression de résultats ? Car les enjeux financiers étaient colossaux.
Je dois dire que j'ai été assez protégé, je dois bien le reconnaître. La production a été audacieuse. Le premier projet que j'ai proposé, ils m'ont dit : "Tu ne rêves pas assez, va plus loin", jusqu'à ce que je rêve un peu trop. Ils avaient beaucoup d'ambition ! J'ai été très très bien accompagné, j'ai très peu eu de stop à part cet énorme projet pour des raisons économiques et logistiques. Après, j'ai été assez protégé dans le sens où moi mon travail s'arrête là. Je suis metteur en scène, je fais un spectacle, après la production, c'est à eux de gérer ! (Rires)

Le spectacle sera le même à Paris qu'en province
L'échec d'un projet, on y pense en tant que metteur en scène ?
Je ne vais pas vous dire que je travaille de manière ultra sécure que ce soit sur "Starmania" ou d'autres spectacles. On est toujours sensible à la réception d'un spectacle. Par contre, ce que j'ai appris, c'est que c'est pas parce qu'on veut plaire au plus grand nombre qu'on y arrive. On plait au plus grand nombre quand on est dans une honnêteté, dans une forme de radicalité, d'aller au bout d'une idée... Je sais que ce que je propose sur "Starmania", c'est très noir, c'est particulier, il y a une griffe esthétique. Mais c'est pas un caprice, l'idée ne sort pas de nulle part. Ça vient du fait que les personnages sont mus par des forces noires que sont la mélancolie, la vacuité, par le manque de sens, la dépression... Pour sortir de ces forces, ils vont vers la lumière. Je savais que c'est ce que raconte "Starmania". Ça peut dérouter mais je constate que les gens comprennent le processus global, même si ce n'est pas consensuel.

C'est un véritable carton à Paris avec 300.000 spectateurs. Le spectacle va partir en tournée. Est-ce que la scénographie doit être repensée pour la tournée en province ?
Non pas du tout. Ce que nous avons fait, car moi je viens de province, ou de région comme on dit ! J'ai jamais habité Paris, là je m'y suis installé pour d'autres projets que je dois mener mais il était évident pour moi et la production que le spectacle montré à Paris soit exactement le même qu'en province. Les avant-premières à Nice ou Marseille ont eu le même show qu'à Paris, parce que notre scène est transportable. La seule question, c'est sur les musiciens. La production s'interroge sur le fait qu'ils partent en tournée ou pas. La réflexion est en cours.

Vous le disiez, le "Starmania" d'origine n'a pas été capté. Est-ce que ce sera le cas sur cette nouvelle version ?
Mon souhait, ce serait qu'il le soit. Après c'est une décision de la production. Je crois qu'ils en ont le désir mais je ne sais pas quand ils auront prévu de le faire. On en a parlé, de même qu'un enregistrement live pour le sortir en album. Ce sont des désirs dont on parle au sein de la production, mais ça, ce n'est pas moi qui décide.

Je m'apprête à faire le plus grand spectacle du monde
Les chansons de "Starmania" ont voyagé dans le monde, le spectacle aussi. Il y a donc des ambitions internationales, ça a influencé votre travail ?
Mon objectif à chaque fois que je travaille sur un spectacle c'est, qu'on habite en France, en Corée ou aux Etats-Unis, et qu'on parle la langue ou non, on soit touché, que le spectacle puisse nous y parvenir. Mon travail d'image est universel. Après les textes sont en français, mais ça c'est une chose qu'on pourrait changer. L'ambition internationale est inscrite dans l'universalité de mon geste mais pas dans une démarche stratégique. Même si des producteurs étrangers, de plusieurs pays du monde, sont venus voir le spectacle et que, je l'espère, on pourrait imaginer que "Starmania" se promène dans le monde entier dans cette version-là.

Vous avez travaillé pour l'Opéra de Paris et vous continuez de le faire, vous avez travaillé sur "Starmania", vous serez le directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Ce n'est pas rien ! Vous avez un rêve ultime ?
Ce qui est très joli, c'est que les rêves que j'ai à entreprendre avec les spectacles qu'on me propose ne sont pas des rêves que j'ai fait. Mes rêves, c'était d'être acteur, de jouer des pièces de théâtre, de faire en sorte que le spectacle vivant soit actif, vivifiant. Le spectacle c'est un outil d'art qui a un pouvoir de fédération. Mon rêve, je le vivais ! Et puis tout à coup, j'ai vu que mon travail intéressait et qu'on m'emmenait vers des opportunités qui étaient de plus en plus magiques, grandes et ambitieuses. Mais là, comme vous l'avez dit, je m'apprête à faire le plus grand spectacle du monde donc bon après... (Rires) Ce sont des rêves que je n'osais même pas faire ! C'est extrêmement excitant. N'ayant pas de rêves, je n'ai pas de déception, je n'ai que des bonnes surprises.

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