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dimanche 27 janvier 2019 12:30

Marvin Jouno en interview : "Je me suis raccroché à cet album comme à une bouée"

Par Yohann RUELLE | Journaliste
Branché en permanence sur ses playlists, il sait aussi bien parler du dernier album de Kim Petras que du set de techno underground berlinois qu'il a regardé hier soir sur TikTok. Sa collection de peluches et figurines témoigne de son amour pour les grandes icônes de la pop culture.
Marvin Jouno délivre avec "Sur Mars" un deuxième album intime, marqué par les drames de la vie et la fuite vers l'inconnu. Avec une touchante sincérité, l'artiste breton lève le voile sur sa quête de reconstruction.
Crédits photo : Mélanie Elbaz
Propos recueillis par Yohann Ruelle.

Tu sors ton deuxième album. Quel est le sentiment qui prédomine en toi ?
C'est une drôle de période. On sort des fêtes, y'a quelque chose d'assez cotonneux. Je suis impatient, je suis un petit peu stressé parce que j'y ai mis beaucoup de moi et j'aimerais que ça ne passe pas inaperçu. Il n'y a rien de pire pour un disque qu'on en parle plus en trois jours ! C'est terrible. Ça représente trois ans de travail donc tu t'attends à ce que ça vive un peu, par le live ou par des relais médiatiques. J'attends de voir à quelle sauce je vais être mangé et en même temps, j'ai fait de mon mieux, vraiment. J'ai tout donné. Je suis assez fier de cet album. A partir de là, je suis droit dans mes bottes. Le disque ne m'appartient plus désormais. Je le confie : faites-le voyager, aimez-le, détestez-le.

J'ai passé trois années sur une autre planète
Que représente ce voyage "Sur Mars" ?
C'est une métaphore qui me permet d'exprimer l'indicible. J'ai eu la sensation de passer trois années sur une autre planète. Trois années un peu âpres, très solitaires, sans mes affaires, parfois même sans lieu d'habitation. J'ai vivoté, j'ai navigué un peu à droite à gauche. J'avais parfois l'impression d'être en terre inconnue, en terrain hostile. Il y avait presque une notion de survie.

Pourquoi cette planète en particulier ?
L'idée m'est venue après une anecdote. Une amie s'était inscrite à une loterie pour faire partie des premiers civils à participer à des vols pour aller sur Mars. Ça m'avait vraiment surpris et frappé : pour s'inscrire à ce genre de choses et laisser toute famille, toute vie passée derrière soi, il faut vraiment ne pas aimer son existence sur Terre. C'est presque du domaine du suicide, même si c'est aussi la grande aventure. J'imagine que les premiers vols habités pour Mars seront hyper périlleux. Arrivés sur place, ça demandera beaucoup de chance et de bravoure ! Je me suis prêté à ce jeu-là car peu avant la sortie de mon premier album "Intérieur nuit", en mars 2016, j'ai quitté le domicile conjugal. Une longue histoire d'amour de 10 ans qui s'est terminée le soir de mon anniversaire, le 21 février. Je suis parti dans la nuit, avec juste ma valise. Et j'avais l'impression de partir sur Mars, sur le mois de mars, c'est de là qu'est venu le texte et puis le déclic. C'est pas vraiment un album concept mais malgré tout, ça tourne autour de cette sensation qu'à bientôt 35 ans, je suis à la mi-temps de ma vie en quelque sorte. Et comment à cet âge-là tout ce que tu as pu construire peut se casser la gueule, comme si tout était friable, une sorte de château de sable. Quand tout se dérobe sous nos pieds. Je voulais partager cette expérience.

Regardez le clip "Sur Mars" de Marvin Jouno :



Comment as-tu fait pour gérer ton début de carrière tout en traversant ces drames personnels ?
C'était très extrême. "Intérieur nuit" ça a été plein de jolies surprise dans la mesure où il y a eu un bel accueil médiatique, il y a eu une vraie tournée d'une soixantaine de dates donc j'ai beaucoup reçu. Moi malheureusement je n'avais pas placé le seuil d'ambition et donc le seuil de satisfaction : j'ai jamais vraiment su à quel moment je pouvais être content. En parallèle, dans le domaine privé, c'était un peu un cauchemar permanent. Comme si pour recevoir il fallait rendre, je sais pas. J'ai vécu avec cette dualité-là. Après la question fut de savoir comment respecter l'intimité de ces histoires ? J'avais un besoin absolu de les raconter. Je ne me voyais pas écrire sur autre chose.

L'écriture est une forme de catharsis
L'écriture t'a-t-elle aidé ?
Je crois, oui. J'ai dû écrire depuis le début 25 chansons. C'est peu mais à chaque fois ce sont des choses qui partent de l'intime, qui me font un peu mal au bide au départ. Ça vient d'être une vraie grosse émotion, autrement je ne me sens pas d'écrire, je n'en vois pas l'intérêt. J'imagine que je règle des choses comme ça. C'est une forme de catharsis. Je me suis raccroché à cet album comme à une bouée.

Il y a cette magnifique chanson qui clôt l'album, "Décembre à la mer", dans laquelle tu parles de la disparition d'un être cher, en l'occurrence ta maman. Est ce qu'on hésite à se livrer aussi profondément sur des sujets aussi sensibles, dans un disque dont on sait qu'il finira entre les mains d'inconnus ?
La question peut se poser. J'ai l'impression que je n'avais pas été assez loin dans "Intérieur nuit", je codais beaucoup, ça m'amusait parfois de pas être compris. Cette fois-ci, je voulais absolument l'être. Je ne me voyais pas faire cet album sans évoquer cette étape dans ma vie,qui est certainement la plus bouleversante. La chanson existe depuis quasiment une grosse année mais je l'ai laissée dans un tiroir en pensant qu'elle n'était pas à la hauteur. Mais quand je l'ai fait écouter à Angelo Foley, qui a réalisé l'album, c'était assez évident. On l'a quasiment enregistrée en une prise. Je ne sais pas si j'ai déjà été aussi vulnérable et aussi sincère sur un titre. Mais je ne me suis pas posé la question de l'impudeur. J'essais de rendre hommage à ma mère et de le crier haut et fort à la terre entière. Donc ça ne me gêne pas. Et en plus de ça mon père en est fier. J'ai rempli ma mission, on va dire.

Où es-tu parti te ressourcer durant ces mois en "terre inconnue" dont tu parlais ? On croit reconnaître l'Islande sur la pochette ?
C'est ça. La musique m'avait sédentarisé le temps de développer mon projet toutes ces années avant de sortir ces disques, puis "Intérieur nuit" m'a fait pas mal voyager. On a eu la chance de partir deux fois au Canada, au Brésil, en Algérie, en Roumanie... Le mix de cet album-ci s'est fait à New York, les photos en Islande effectivement. Et puis moi j'avais lancé ce projet de voyage. Je suis parti de Brest. Le but c'était de rejoindre de Tokyo sans prendre l'avion. J'ai traversé l'Europe en bus, après j'ai pris le Transsibérien puis un espèce de ferry qui m'a amené au Japon, que j'ai traversé pour rejoindre la côte pacifique. C'était un rêve d'enfant, un fantasme d'adolescent. Je crois que j'avais besoin de marquer une parenthèse dans ce processus. Pendant trois ans, ça a été quasiment mono-obsessionnel et auto-centré sur le premier album. Je n'ai pensé et fait que ça. J'avais besoin d'une soupape. En revanche, le voyage ne pas du tout inspiré quoi que ce soit, pas une chanson. J'étais là pour me faire des "vacances". J'ai pris quelques notes mais pas dans l'optique d'en faire un morceau.

Crédits photo : Pochette de l'album
On s'oublie quand on fait un album ?
Pour "Intérieur nuit" c'était différent parce qu'un premier album on a X années pour le réaliser et pour l'écrire. "Intérieur nuit" parlait d'une décennie, finalement. Là je parle vraiment de deux-trois ans. J'ai malheureusement tendance à m'oublier, oui. Je sais pas si c'est une force. En tout cas, ma vie privée et ma vie de tous les jours sont forcément teintées par le projet. J'ai toujours fait les choses avec beaucoup d'intensité. Même quand je travaillais dans le cinéma, c'étaient des aventures humaines très très fortes et je crois que je reproduis ça. Je ne sais pas faire les choses à moitié.

J'avais envie d'aller plus loin dans l'exploration musicale
Qu'as-tu appris sur toi-même durant ton voyage ?
Bizarrement c'était une vraie solitude assumée et complètement renforcée. J'ai fait ce voyage tout seul pendant 45 jours. Je me retrouvais dans des grandes villes comme Saint-Pétersbourg, Moscou et Tokyo et je me rendais compte que c'était très compliqué de créer du lien. Y'a eu vraiment deux expériences de "Lost in Translation" dans la mesure où j'arrive en Russie, j'arrive au Japon et je deviens analphabète en fait : je sais pas lire, je sais pas écrire, je sais pas parler, je sais pas compter... Tout devient complexe. Je sais pas, j'étais encore dans cette idée de tout lâcher. Le retour a été très compliqué. Je crois que j'ai mis autant de temps à revenir dans ma tête. J'ai été vraiment marqué par ces images, par ce retour à la réalité. Il fallait que je termine cet album. J'avais entrepris ce voyage à l'issue d'une session d'enregistrement qui n'était pas à la hauteur de mes attentes. On n'avait pas encore trouvé l'ADN du disque, on était encore sur une redite de "Intérieur nuit". Il y a des chansons qu'on a gardées, qui existent mais qui ont été repensées. Je crois que j'avais besoin de digérer ça aussi, de prendre de la distance et de comprendre. Je me suis remis au travail en rentrant, j'ai recomposé et on a fini par trouver la bonne direction avec des titres comme "Danse !" et "On refait le monde", qui nous ont amenés sur quelque chose de plus assumé en termes d'électro et d'urbain.

C'était intentionnel ?
Oui. J'avais envie d'aller plus loin dans l'exploration musicale de ces sous-genres parce que je voulais un projet hybride. En ce moment la scène française est complètement décomplexée, ça va part dans tous les sens et c'est super. On sent qu'on est tous féru d'indie pop et ça se ressent. Depuis 2010, avec Lescop et Alina, ça a explosé je trouve. Certains artistes se sont accaparés le français et l'amènent dans des contrées intéressantes. Moi je ne me suis jamais posé la question de chanter en français ou en anglais : ça a toujours été le français, une langue riche que j'adore. Mais je ne voulais pas reproduire quelque chose qui existe déjà. C'est pour ça que j'avais un peu souffert de la comparaison avec Benjamin Biolay sur le premier album, qui me poursuivait en permanence parce que j'avais l'impression qu'on écrivait pas la même chose et qu'on avait pas du tout les mêmes instrumentations. Enfin je dis ça mais c'est une super comparaison ! (Sourire) C'est un artiste que j'admire.

Est-ce Angelo Foley qui a amené cette empreinte plus hip-hop, qu'on identifie assez clairement sur "Danse !" comme tu le disais ?
En partie, oui. Angelo a travaillé sur les albums de Giorgio et d'Eddy de Pretto, donc il sait faire tout ça. Puis c'est aussi ce qu'on écoute ensemble. Mais bizarrement sur cet album il a beaucoup de choses qui ont été conservées de mes maquettes. J'ai pas mal travaillé avec Agnès Imbault, qui m'accompagne sur scène et avec qui je co-compose tous les titres, mais il y a toujours une base que je fais tout seul. "Danse!" est un morceau que j'avais en grande partie déjà arrangé, le sample central était déjà là. Je sais pas, c'est un petit miracle. J'étais dans une véranda en Bretagne pendant des mois et des mois enfermé à essayer de composer ce p***** d'album et j'ai eu un espèce d'éclair un jour. Je ne saurais pas l'expliquer.

Découvrez le clip "Danse !" de Marvin Jouno :



II y a d'autres titres dans cette veine où tu utilises de l'auto-tune pour moduler ta voix. Pour quelle raison ?
L'auto-tune et le vocoder, ça a surtout été utilisé après en studio. C'était un vrai désir d'expérimenter. Un morceau comme "Autant", qu'on avait composé avec Agnès, on l'a sauvé grâce à ça. La ligne de chant ne me paraissait pas bonne, et finalement l'auto-tune est presque venu valider la composition. A partir de là, j'ai été très attiré par cet artifice. En fait je crois que j'avais envie de dater mon album, que dans 20 ans on puisse se dire sans carbone 14 que ce disque était de 2019. Quitte à ce que ça vieillisse mal. L'auto-tune est un témoin de l'époque : aujourd'hui des artistes comme Paul McCartney ou Jean-Louis Murat ne se privent pas pour l'utiliser ! Ça ouvre des perspectives, parce que la voix devient un autre instrument. Je l'ai pris comme un outil. J'étais très très réticent à l'époque du crunk, j'ai mis un temps fou à me faire à ses sonorités électro dans le hip-hop. Mais l'auto-tune est très utilisé dans le raï depuis toujours, alors ça m'évoque une espèce de mélancolie orientale qui me touche beaucoup. Je sais que c'est très clivant mais moi j'ai aucun problème avec.

Zazie est une artiste humainement exceptionnelle
Il y a pas mal de chansons agrémentées de citations, d'extraits de films... Ce sont des réflexes de ton ancienne vie dans le cinéma ?
Sûrement ! J'ai voulu voir mon album comme un carnet de bord, comme un journal intime. A part l'introduction du titre "On refait le monde", samplé sur un reportage de la télévision suisse des années 60 ou 70, tout le reste ce sont des extraits sonores que j'ai enregistrés avec mon téléphone. Dans l'avion, dans la rue... Il y a des messages qu'on me laissait sur ma boîte vocale, même ceux en anglais. Tout est vrai. J'ai été très marqué par deux disques, "Blonde" de Frank Ocean et le deuxième album de Bon Iver. Je trouvais que c'étaient des super albums, au-delà de l'album, par ce témoignage d'un espèce de quotidien où j'avais l'impression d'être dans leur intimité. J'avais aussi envie de jouer ce jeu-là.

On t'a récemment vu dans "Taratata" pour un très duo avec Zazie. Elle est une rencontre marquante dans ta carrière ?
C'est LA rencontre. A l'époque de "Intérieur nuit", j'avais un petit peu observé ce qui allait se profiler comme tournées importantes qui permettaient la première partie. Et j'avais postulé, je m'étais dit : envoyons le disque à Zazie, sait-on jamais ! Je crois qu'elle a reçu une dizaine de propositions. Et quand elle est tombée sur mon disque, il s'avère qu'elle me connaissait déjà : elle avait entendu "Quitte à me quitter" sur une radio parisienne. Donc elle m'a choisi et on a fait une dizaine de dates ensemble. Ça m'a permis d'apprendre mon métier. Chanter devant 1.500 ou 2.000 personnes, plusieurs fois d'affilée, ça ne m'était jamais arrivé ! Son public est très bienveillant. Au delà de ça, c'est la rencontre d'une artiste humainement exceptionnelle. Dans son staff, tout le monde est adorable, que ce soit les musiciens, les techniciens... On est tombé dans une famille et on a été complètement adopté. Notre dernier concert avec eux a été un crève-coeur. Je dis souvent que ce n'est pas ma marraine mais c'est ma fée. C'est inestimable comme soutien.

Quels conseils on prend d'une artiste avec une telle carrière ?
Elle me donne même pas de conseil, en fait. Mais on est forcément admiratif de sa longévité, sa grande gentillesse, sa grande humanité et puis son écriture. C'est quand même l'incarnation en France de la pop ! Sa musicalité aussi. Un album comme "Cyclo", c'était risqué, très sombre et électro, et c'est mon préféré. Ecrire une chanson comme "Speed" sur son coeur battant et vieillissant... C'est brillant. Il y a toujours quelque chose de profondément intéressant chez Zazie.

Pourrait-on envisager une collaboration dans le futur ?
Parfois ça me trotte dans la tête. Mais je crois que sur cet album très dense et très compact qu'est "Sur Mars", je voulais être tout seul. J'ai pas du tout envie de calquer des duos artificiels. Si je veux proposer un duo, j'aimerais l'écrire en pensant le duo. D'ailleurs, j'avais une chanson qui ne s'est jamais faite sous forme de dialogue, une histoire de questions-réponses sur un couple qui se déchire... La chanson s'appelait "En diagonal". Mais ça m'intéresserait, la notion de duo. Il faut juste que ce soit une vraie rencontre de la vie. Les arrangements entre maisons de disques et managers, ça paie rarement.

Retournez Marvin Jouno sur son site officiel et sa page Facebook officielle.
Écoutez et/ou téléchargez l'album "Sur Mars" de Marvin Jouno sur Pure Charts !

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