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dimanche 08 septembre 2024 13:32

Jack Antonoff en interview : "Il m'est arrivé des choses qui vous feraient halluciner"

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Le grand public connaît surtout Jack Antonoff comme le producteur des superstars de la pop Taylor Swift ou Lana Del Rey. Mais il est aussi le leader du génial groupe Bleachers ! Quelques heures avant son concert à l'Olympia, le musicien américain multi-facettes nous a reçus pour un entretien rare.
Crédits photo : Alex Lockett
En 135 ans d'existence, les loges de l'Olympia ont vu défiler les plus grandes légendes de la musique, d'Edith Piaf à Johnny Hallyday, de Madonna aux Beatles. Désormais, c'est l'homme au CV dont tout le monde rêve qui inscrit son nom sur cette longue liste : Jack Antonoff. Repéré en tant que guitariste du groupe Fun (le tube "We Are Young"), le musicien du New Jersey est depuis aux crédits des plus gros succès discographiques pop de ces dernières années, de Taylor Swift à Lana Del Rey en passant par Lorde, The 1975, Clairo, Gracie Abrams et plus récemment Sabrina Carpenter. Toutefois, c'est comme leader de l'excitant groupe pop Bleachers qu'il nous accueille dans les loges de la mythique salle parisienne, quatre heures avant de monter sur scène, pour le premier véritable concert français de sa carrière.

Propos recueillis par Théau Berthelot.

Dans quelques heures, vous serez sur la scène de l'Olympia. Comment vous sentez-vous avant ce concert ?
J'ai l'impression d'être à nouveau un bébé. Nous avons tellement tourné aux Etats-Unis et là, ce sont nos premiers concerts européens en tête d'affiche. On avait fait des concerts en 2015 en première partie de The Kooks. Là, c'est incroyable. De jouer devant ton public pour la première fois, c'est comme rencontrer un membre de ta famille que tu n'avais jamais vu. J'adore ça ! Et j'ai vu passer tellement de photos avec la devanture rouge de l'Olympia. Il y a très peu de salles aussi connues et mythiques, l'Olympia en fait partie.

C'est donc votre première véritable tournée européenne en 10 ans de carrière. Pourquoi avoir mis aussi longtemps ?
On a eu des problèmes. On était sur un gros label, c'était assez compliqué. Plein de conneries de label en soi, d'histoires de bureaucratie... On a changé totalement de structure juste avant de sortir ce nouvel album, donc maintenant nous avons la possibilité d'aller jouer où nous le voulons.

Vous avez d'ailleurs enregistré des chansons à Paris. En quoi l'ambiance et l'atmosphère diffèrent-elles de celles de New York ou du New Jersey ?
La principale différence, c'est que quand je marche dans la rue à Paris, je ne parle pas français, donc je ne comprends pas ce que les gens racontent. Ce qui me fait me sentir très replié sur moi-même. La seule voix anglaise que j'entends, c'est celle dans ma tête. Donc je réfléchis aux paroles d'une façon assez différente.

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Avec cette tournée, j'ai l'impression de rencontrer un membre de la famille
En mars dernier, vous avez sorti "Bleachers", le quatrième album du groupe...
L'album est né grâce à cette énergie assez magique que nous avons en tant que groupe, quand nous sommes dans la même pièce. J'ai commencé à regarder chaque musicien pour trouver et puiser l'inspiration, en essayant de trouver une façon de documenter notre connexion si spéciale. C'est devenu assez autoréférentiel. Tout ce qu'on entend, les traits personnels de chacun ou les réflexions que chacun peut sortir... Tout cela influe.

C'est le premier à sortir sous votre propre label, c'est une fierté ?
En réalité, l'album est plutôt sorti sur Dirty Hit [label de The 1975 ou Rina Sawayama, ndlr]. Mon label est plus un endroit où je peux sortir des choses qui vont vivre leur vie de leur côté : des musiques de film, des amis avec qui je veux travailler... Je ne veux pas avoir de gros label, je préfère avoir un parapluie sous lequel les choses peuvent être protégées.

Le fait d'avoir ce label reste tout de même comme un nouveau départ ?
Oui, absolument ! Je pense que les gens autour de toi finissent par devenir des influences. Ils reflètent différentes versions de toi. Et cette nouvelle équipe a rendu ce que je fais bien plus inspirant. Et on peut voir ça, même de l'extérieur, c'est comme une sorte d'étincelle créatrice !

Je suis très protecteur quand il s'agit de ma musique
Vous dites d'ailleurs que vous vous êtes senti plus heureux en écrivant cet album que pour les précédents. Dans quel sens ?
Je pense que c'est parce que beaucoup de choses étaient focalisées sur nous, le groupe. Et je ne me fichais pas trop du reste. Aujourd'hui, c'est nettement plus joyeux. Il y a quand même des choses assez tristes sur l'album, mais en faisant l'album, c'était comme si chacun pouvait lire dans la tête de l'autre. Donc on a profité de ça. Je me sentais très sûr de moi, et à la fois ouvert vers les autres, mais fermé sur le monde.

En tant que producteur, comment abordez-vous la production de vos albums contrairement à ceux des autres ?
En réalité, j'essaie de faire la même chose, mais le processus est à la fois assez similaire et totalement différent. Si je travaille sur un album de Bleachers ou celui de quelqu'un d'autre, à la fin de la journée, l'objectif est le même : créer la musique que tu entends et que tu ressens en toi. Peu importe comment ça se passe, mais ça finit par arriver. Mais pour Bleachers, j'aime avoir un coproducteur sur lequel me reposer, parce que parfois, ça peut être assez émouvant de gérer ça tout seul.

C'est donc Patrik Berger le coproducteur de l'album. Quel rôle a-t-il sur la production du disque ?
C'est comme un co-pilote. C'est quelqu'un dont tu as besoin dans ton parcours, qui peut te remettre les pieds sur terre et t'aider... J'aime avoir une petite équipe, je n'aime pas travailler avec d'autres gros producteurs sur Bleachers. Je suis vraiment avec une toute petite équipe et j'adore vraiment travailler avec.



Je ne veux pas avoir de gros label mais une protection
Dans ce que vous me dites, il y a quelque chose que je trouve très intéressant. Vous aimez mettre le groupe en avant, alors que beaucoup voient peut-être Bleachers comme un projet "solo" de Jack Antonoff...
Parfois... Ça l'est en ce moment. Il y a différents points de vue dans la musique que nous faisons : ce qu'on fait en concert, la façon dont j'écris ou je produis... Tout ce que je fais, et notamment au niveau du live show, se retrouve au milieu de tout ça. Tu fais juste ce qui t'inspires à l'instant T. C'est un peu comme un cycle. Mais oui, en ce moment, j'aime beaucoup mettre le groupe en avant.

Sur vos deux derniers albums, votre influence principale est Bruce Springsteen. C'est notamment flagrant sur le morceau "Woke Up Today", et le précédent "Chinatown". Qu'est-ce qui vous fascine chez lui ?
Je suis du New Jersey, lui aussi. Il y a beaucoup de musiciens du New Jersey qui sont connus. J'ai toujours aimé le son venant de cet endroit d'où je viens. Bruce Springsteen est quelqu'un qui m'a vraiment aidé à comprendre clairement ce son. Pour "Chinatown", ça a été très simple : on a juste trainé ensemble, joué quelques trucs... Un peu de la même façon qu'avec les autres artistes. Ça a eu un effet boule de neige et ça a donné cette chanson.

Je n'aime pas travailler avec d'autres gros producteurs sur Bleachers
D'ailleurs, vous évoquez aussi sur le Vietnam sur "Hey Joe", un titre assez politique qui par certains aspects rappelle "Born in the USA". C'est assez rare de vous voir sur ce créneau là !
Il y a quelque chose d'intéressant : mon père et ses amis, qui ont l'âge des soldats qui étaient au Vietnam, sont allés en vacances au Vietnam pour faire un tour du pays. J'ai commencé à écrire dessus car je trouvais ça tellement bizarre que cet endroit, qui était une zone de guerre dévastée, soit devenu aujourd'hui un lieu touristique. C'est vraiment plus sur la famille et la dissonance, mais j'ai utilisé ce parallèle car ça me fait sourire. Pour moi, c'est moins une chanson politique que culturelle. Je parle notamment d'un documentaire de Ken Burns sur le Vietnam et de cette absurdité d'un pays qui passe d'un statut de "zone de guerre" à celui de lieu de vacances.

L'album contient "Alma Mater", un titre sur lequel chante Lana Del Rey et dans le clip duquel on voit Clairo. Margaret Qually, votre femme, apparaît dans les clips de "Alma Mater" et "Tiny Moves". Quant au morceau "Self Respect", il est co-écrit par Florence Welch. Vous aimez travailler avec de très proches collaborateurs...
En fait, quand je fais un album, je ne choisis pas vraiment les gens avec qui je vais collaborer. Je fais selon les choses qui se passent dans ma vie. Quand je travaille sur une chanson, les choses finissent par se produire assez naturellement. Dans tous les cas, ce n'était pas prévu. Tout s'est vraiment fait en studio.



Bruce Springsteen est quelqu'un qui m'a vraiment aidé
Vous publiez cette semaine une nouvelle version de votre premier album "Strange Desire", sous le nom "A Stranger Desired". Vous n'étiez pas satisfait du résultat à l'époque ?
Pas du tout, le premier est parfait ! C'est vraiment une version différente de l'album. J'ai eu envie de dépouiller au maximum la production. Quand l'album est initialement sorti il y a 10 ans, j'avais tellement besoin de moyens pour raconter mon histoire, donc j'ai voulu le revisiter 10 ans plus tard. Mais c'est vraiment un supplément, une pièce compagnon.

Le fait que Taylor Swift sorte toutes ses "Taylor's Version", ça vous a inspiré ?
J'ai toujours fait différentes versions de mes albums. Il y a 14 ans sortait le premier album de Steel Train, mon premier groupe. Je l'ai refait avec uniquement des voix féminines. Même chose pour des chansons comme "Strange Behaviour"... J'aime bien revisiter des chansons du passé. C'est quelque chose que j'ai toujours fait : reproposer ou réimaginer des chansons. Mais là, ce n'est pas un réenregistrement, juste une version différente.

En refaisant ce premier album, vous est-il arrivé de redécouvrir certaines chansons ?
Oh oui, je les ai toutes redécouvertes ! Je connais les chansons de la façon dont je les ai produites et dont j'aime les jouer en live. Sur scène, c'est justement là que les chansons sont redécouvertes et remodelées. Mais en revenant au coeur des chansons, la mélodie et les paroles, je me suis rendu compte que je ne pouvais que les refaire d'une seule façon.

Le public vous connaît en tant que producteur, mais ne sait pas vraiment ce que ça signifie. En quoi consiste donc ce rôle très particulier ?
Il y a beaucoup de définitions différentes, mais moi je prends ça de la façon la plus simple possible. Tu prends quelque chose qui est dans ta tête et tu le fais devenir réalité. Mais les gens n'ont pas à tout comprendre de ce métier... Je ne suis pas lancé dans une croisade pour que les gens comprennent ce qu'un producteur ou un auteur-compositeur doit faire. La musique est la seule chose qui m'importe. Tout le monde veut savoir comment les choses sont faites mais on ne peut pas tout dire. Il faut garder une part de mystère, un peu de magie... C'est vraiment ça, de la magie. Quand quelqu'un me demande comment j'ai pu faire telle chose... Je ne sais pas ! On est allés en studio et ça s'est passé comme ça. Mais je ne pourrais pas le décrire au sens où je ne pourrais pas l'enseigner.

Il faut garder une part de mystère, de magie
Vous travaillez avec les plus grandes popstars actuelles, de Taylor Swift à Sabrina Carpenter. Un succès pareil, ça vous fait rêver ou ça vous fait peur ?
Non, ça je m'en fiche. Quand je suis en studio, c'est bien plus énorme et plus profond que tout ce qu'on peut dire ou imaginer. Tout cela est mis de côté quand on est en studio.

Qu'est-ce qui diffère quand vous travaillez avec Lana Del Rey, Gracie Abrams, The 1975 ou Lorde ?
Ce qui change, c'est que tout simplement, ce sont des artistes différents. C'est comme si je te demandais la différence entre plusieurs de tes amis. C'est un peu le problème récurrent que j'ai : tout le monde voudrait que je décrive quelque chose qui est indescriptible. En studio, on créé notre propre monde secret et on finit par avoir un résultat. La musique surpasse tout ça.

L'énorme succès de Taylor Swift, ça vous met une pression quand vous travaillez avec elle ?
Non ce n'est vraiment pas quelque chose qui m'atteint. Quand je suis en studio, je ne pense à rien d'autre qu'à la musique.

Quel est l'album que vous avez produit dont vous êtes le plus fier ?
Tous ! Je les aime vraiment tous ! Ce sont tous des albums qui sont liés à des moments spéciaux dans ma vie.



Peu importe l'artiste, la musique surpasse tout
Il y a un artiste pour lequel vous rêveriez de produire un album ?
Pas vraiment. Je suis vraiment heureux avec ce que je fais. Je ne suis pas là en train de penser à ma part du gâteau, quand je suis en studio, je fais ce que je dois faire. Après, toutes ces questions commencent à devenir difficiles parce que je n'y pense jamais. C'est comme si vous demandiez à un marathonien en pleine course ce qu'il va manger le soir-même. Il en sait rien (sourire).

Il y a des gros noms pour qui vous avez refusé de travailler ?
Rien de ce que je pourrais raconter à la presse car je sais que ça deviendrait un gros titre stupide. Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées et qui vous feraient halluciner. Je suis un artiste, mais je ne suis pas dans le "gossip".

Fun ne reviendra pas
Vous travaillez sur d'autres projets en ce moment ? Pour Bleachers ou d'autres artistes ?
Ça je ne vous le dirais pas (sourire). Je laisse la musique parler à ma place. Vous ne trouvez pas que parfois, les gens devraient plutôt se taire ? J'adore faire de la musique et la dernière chose que j'ai à faire, c'est de créer des histoires à partir de rien. Je ne serai jamais là à dire : "Oh devinez avec qui j'ai refusé de travailler ?". Ça c'est pour Twitter... Pour Bleachers, j'écris constamment mais je n'aime pas trop en parler car je ne suis jamais sûr de ce que je fais, jusqu'à ce que ce soit fini. Si je fais quelque chose, ou si je dois sortir un titre, les premières personnes que je préviendrais seront mes fans, ceux qui viennent aux concerts, qui ont tous les disques... Je suis très protecteur quand il s'agit de ma musique.

Le groupe Fun, dont vous étiez le guitariste, avait cartonné avec le tube "We Are Young" avant de rapidement disparaître. Peut-on espérer un jour le retour du groupe ?
Non, ça n'arrivera jamais. Je suis passé à autre chose. J'étais motivé à aller de l'avant et à faire les choses que je voulais vraiment faire. Et puis c'était il y a 10 ans. 12, 13 ans ? Ce n'est pas que ça appartient au passé, mais je suis désormais davantage intéressé par les choses que je fais maintenant.

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