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1995 : "Les médias ne s'intéressent pas du tout au rap"

Midi, l'horloge tourne et nous arrivons dans les locaux d'Universal Music, major sur laquelle 1995 a signé en licence pour la distribution de son premier album "Paris sud minute", entré numéro un du Top Albums le mois dernier. En longeant les murs, on s'approche doucement d'un salon dans lequel le débat bat son plein. Très en forme, les six jeunes hommes de 1995 débattent en privé sur les bienfaits et les inconvénients d'internet. Très rapidement, une tendance se dégage : ils n'aiment pas beaucoup ce média. Mais déjà la porte s'ouvre...
Crédits photo : Antoine Durand
Propos recueillis par Jonathan Hamard.

Pour n'aimez-vous pas Internet ?
Sneazzy West : Ce n'est pas vraiment qu'on n'aime pas Internet. C'est juste qu'on a un avis bien tranché là-dessus. Internet, c'est fait pour matrixer les gens. Ce n'est pas une bonne chose. Il y a la vie réelle et les réseaux sociaux. Tout le monde n'arrive pas à bien faire la distinction. C'est la porte ouverte au mensonge.
Alpha Wann : C'est la porte ouverte à tout et n'importe quoi !
Areno jaz : Oui, c'est surtout ça !

Vous n'allez pas me dire que vous n'y trouvez aucun avantage ! Vous êtes quand même nés sur le web. On parlait de vous sur internet bien avant que la presse ne s'empare du phénomène...
Fonky Flav' : C'est vrai qu'on a fait des très bons chiffres en première semaine en digital. Mais, tout ce qu'on n'aurait pas vendu sur Internet, on l'aurait vendu en physique. Je ne suis pas sûr que ce soit une chance de dire qu'on vend ses disques sur Internet !
Nekfeu : Il y a des avantages et des inconvénients. C'est comme dans tout. Internet, c'est une bonne force. Mais ça sera vite rattrapé par quelque chose d'autre, et puis régularisé aussi j'espère.
Areno jaz : On rêverait que du jour au lendemain Internet n'existe plus. Et que tout redevienne comme avant. Il y a plein de choses bien sur Internet mais franchement, quand tu vois la manière dont les gens s'en servent... Par exemple, tu peux te mettre derrière ton écran et insulter n'importe qui sans qu'il t'arrive quoi que ce soit. Descends dans la rue, dis "fils de pute" à un mec, ce sera pas la même chose. Là, personne te retrouvera, personne ne saura qui tu es. C'est l'anonymat qui me dérange.

Ce qu'on n'aime pas, c'est l'abru- tissement des masses, le formatage
Et le rap était-il lui aussi mieux avant, comme vous le laissez supposer lorsque vous parlez de vos influences ?
Nekfeu : Non. On ne considère pas que le rap était mieux avant. C'est ce que les médias diffusaient auparavant qui était mieux. On préférait la musique et les clips qu'on entendait à la radio et à la télévision. C'est ça qui a changé en moins bien ! Mais on écoute quand même beaucoup de trucs actuels, ou des choses qui sont sorties il n'y a pas très longtemps.
Fonky Flav' : Enfin, ça dépend pour qui je pense (sourire).
Areno jaz : Moi, ça y est, je suis arrivé jusqu'en 2012 (rires) !
Sneazzy West : Pour nous, le rap, c'était pas mieux avant. Le rap, c'est bon quand c'est bien fait. C'est tout.

L'image véhiculée par le rap, vous la trouvez plus positive aujourd'hui qu'elle ne l'était hier ? Pendant les dix dernières années, on peut quand même dire qu'il a eu une mauvaise image...
Fonky Flav' : Le problème, c'est que le rap a eu une plus mauvaise image parce qu'il y avait une vraie fracture sociologique entre le public, les médias et les rappeurs. Je pense qu'il y avait un réel manque de compréhension. Il y a peu de gens qui comprenaient ce qui se passait dans le rap. Le problème, c'est que l'image qui a été renvoyée était aussi caricaturale. Ce n'est pas forcément les rappeurs ou leur manque d'originalité ou de recul. Ce sont les acteurs du mouvement qui valident ça et qui ne souhaitent pas qu'il y ait un paysage varié. Le rap, à la base, est une musique variée. Il y a très rapidement eu un rap plutôt festif, plutôt peace, un rap engagé, un rap gangster... Il y a eu toutes sortes de rap. Mais ce qui a manqué, c'est la connaissance de toutes ces entités rap, qui n'ont pas eu le recul nécessaire pour apprendre à se connaître chacune entre elles.

Disiz la Peste disait lui qu'il y avait un vrai renouveau dans le rap français. C'est peut-être pour ça que le rap plait à un plus grand nombre d'auditeurs aujourd'hui. Le rap élargit son spectre. Avec Sexion D'Assaut notamment...
Areno jaz : Le renouveau du rap, on nous le vend depuis des années. Il n'y a qu'à regarder les affiches des publicités pour les nouveaux albums de rappeur. A chaque fois, c'est écrit : "La nouvelle valeur du rap français".
Hologram Lo' : On nous sort ça tous les ans.
Areno jaz : Sexion D'Assaut ne sont pas les premiers artistes à vendre énormément de disques. On a eu des beaux succès comme celui de Diam's.
Fonky Flav' : Il y a toujours eu des gros cartons rap. Le rap, ça a toujours été l'une des musiques qui vend le plus.
Nekfeu : Aujourd'hui, c'est juste qu'il y a eu un record incroyable, historique.
Alpha Wann : Mais la Sexion D'Assaut elle vend bien depuis 2009. La Fouine se débrouille très très bien. Soprano aussi.
Areno jaz : D'ailleurs, on ne dit pas "C'est un bon disque de rap", on dit que "C'est une grosse vente".

On parle beaucoup des rappeurs, mais pas de rap
Vous pensez que les médias ne s'intéressent pas assez au rap, ou alors mal ?
Nekfeu : Non. Les médias ne s'intéressent pas du tout au rap. On le voit bien dans le genre de questions qu'on nous pose.
Hologram Lo' : Les médias, ce sont des entreprises qui veulent engranger de l'argent.
Alpha Wann : Le rap, c'est super facile à blâmer.

Areno jaz : Par exemple, Booba. Je trouve qu'il a bon dos. Il est très critiqué. Mais il ne dit à personne quoi faire à ce que je sache. Il fait ses affaires. Il y en a beaucoup qui parlent sur lui. Ce sont les médias qui parlent sur lui, mais pas de sa musique.
Nekfeu : Il y a des gens qui font des choses qui ressemblent à la musique de Booba, mais ce n'est pas la même chose. Il y a sur ses albums une qualité artistique qui n'est pas négligeable, qui est réelle.
Pour nous, le combat il n'est pas dans le message de tes paroles, dans la vulgarité ou le côté bien pensant. Moi, je préfère écouter un rappeur qui n'a aucune morale mais qui fait les choses bien, qui fait quelque chose d'intéressant, d'intelligent au final, même si c'est négatif. Ce qu'on n'aime pas, c'est l'abrutissement des masses, le formatage, et le fait qu'on pense qu'il n'y a qu'une seule sorte de rap en France, déclinée sous toutes les formes.

Crédits photo : Antoine Durand
Il faut quand même admettre qu'il est aujourd'hui plus ouvert sur d'autres registres soul, jazz et électro. D'où un public nouveau.
Nekfeu : Oui. C'est vrai qu'il y a une nouvelle génération qui émerge en France et qui écoute un peu de rap. C'est comme "une classe moyenne" qui n'en écoutait pas avant.
Hologram Lo' : Aujourd'hui, il y a clairement une génération qui revient au rap. Mais ce n'est pas grâce aux médias. Je dirais que si le rap a eu une plus mauvaise image durant ces dernières années, c'est parce que les médias ont mis en avant un rap de moins bonne qualité. Ils n'ont pas cherché l'aspect qualitatif. Ça nous a gavés. On en a eu ras-le-bol. On s'est organisé différemment, indépendamment. Ça se ressent aujourd'hui avec un rap de meilleure qualité. Un rap différent.
Alpha Wann : A la télévision, on parle beaucoup des rappeurs, mais pas de rap.
Areno jaz : C'est ça ! Les gens s'intéressent au personnage. Mais ils ne se posent pas les questions de savoir ce qu'il dit, ce qu'il fait... Pour beaucoup, les rappeurs sortent tous le même rap, les mêmes chaînes en or...
Nekfeu : On retrouve les mêmes clichés. On parle d'eux avec beaucoup d'éloges... parce qu'ils vendent beaucoup. Pour les médias, tout le monde est dans le même panier, dès que tu vends beaucoup. Je ne parle pas pour tous. Il y a des médias spécialisés qui savent de quoi ils parlent. Il y a quelques rares exceptions.
Areno jaz : T'as des gens qui ne font pas du tout le même rap, mais comme ils vendent le même nombre de disques, alors on en parle exactement de la même manière. Les expressions fétiches, c'est "La plume du rap français" (sourire), "La poésie urbaine"... Ça ne veut rien dire !
Nekfeu : C'est comme dans le cinéma et la littérature !
Areno jaz : Je crois que les gens ont l'impression que le rappeur, c'est celui qui enfile le costume du gangster qui raconte sa vie dans la cité.
Fonky Flav' : En France, on a eu des belles choses, comme IAM par exemple. Sauf qu'on n'a pas retenu ça. Le rap, c'est une musique qui fait bouger les foules. C'est une musique un peu dangereuse pour le peuple.

On peut vendre beaucoup de disques et aimer la musique
On parle de rappeurs mais pas de rap. J'ai donc envie de vous demander ce qui vous, vous distingue artistiquement parlant ?
Sneazzy West : La technique. Notre rap est très technique, contrairement à celui de beaucoup de rappeurs français. On n'écrit jamais un mot par hasard.
Alpha Wann : Chaque mot est réfléchi. Chaque intonation, chaque sonorité, dans le texte, est réfléchie.
Nekfeu : Au même titre que la poésie !
Fonky Flav' : Ce qui nous différencie aussi, c'est la sincérité avec laquelle on travaille, au delà-même de la sincérité qu'on peut laisser transparaître. Vouloir être sincère, ça peut aussi être s'enfermer dans une case et du coup ne plus vraiment être sincère. Nous, on est tellement sincères qu'on en devient paradoxal.
Hologram Lo' : Musicalement, je trouve qu'on se détache totalement de ce qui se fait actuellement dans le milieu du rap.

C'est-à-dire ?
Hologram Lo' : On est beaucoup moins dans des sonorités électroniques, des choses froides.
Nekfeu : On ne cherche pas à se mettre dans une cause d'opposition comme certains le font. C'est un filon. C'est commercial. Quand il y a noir, il y a blanc, et quand il y a blanc, il y a noir. Mais nous, on n'est pas du tout dans cette démarche. Ce que je veux dire, c'est que tu peux gagner de l'argent en critiquant, que ce soit avec un point de vue ou son opposé. On veut être le plus sincère possible. Par exemple, sur notre album il y a le morceau "Pétasse blanche" qui pourrait correspondre à ce qui se fait actuellement aux Etats-Unis. On ne va pas dans cette direction musicale parce que ça se vend, mais parce qu'on aime. Tout simplement.
Areno jaz : Je crois que là, c'est un autre débat. Les gens ne sont pas prêts à comprendre qu'on peut vendre beaucoup de disques et aimer la musique. Michael Jackson a vendu des millions de disques et il aimait profondément la musique.

On est un groupe de Scènes de ménages
"Paris sud minute" est un album homogène. Il y a néanmoins trois titres qui sortent du lot : "Bla Bla Bla", "103" et "Jet Lag". Sont-ils le reflet de vos différentes personnalités ?
Hologram Lo' : Ça montre qu'on est éclectique.
Fonky Flav' : "Jet Lag", c'est plus une expérience. C'est un morceau hybride je trouve.
Nekfeu : Dans le rap français, ce ne sont pas des sonorités qui reviennent souvent. Chacun a connu des expériences différentes. C'est un gros mix.

Crédits photo : Antoine Durand
Vous êtes nombreux. Comment s'organise l'écriture d'un titre ? Vous avez tous votre mot à dire ? Y-en a-t-il un qui a le dernier mot ?
Sneazzy West : Chacun donne son avis sur chaque titre.
Nekfeu : On n'est pas tous sur tous les titres. Chacun écrit ses propres couplets. Pour les refrains, on essaie de tous se mettre d'accord. Même quand on ne participe pas à un morceau, on donne notre avis.
Fonky Flav' : On est tous investi de la même façon dans l'aventure 1995.

On veut porter la scène à un autre niveau en France
Vous êtes entrés n°1 des ventes digitales avec "Paris sud minute" et vous promettez de mettre l'ambiance au Palais des Sports en avril. Pour en arriver là, il y a eu une signature chez Universal. Est-ce que c'est un tournant pour vous ? Est-ce que ça a changé la donne ?
Sneazzy West : Un tournant, non...
Areno jaz : On est signé en licence.
Nekfeu : Avec notre premier EP "La source", on est passé par une distribution indépendante mais ça ne s'est pas très bien passé. Certaines Fnac n'étaient pas livrées à temps. On a considéré que l'indépendance avait ses limites. Tu ne peux pas être dans la distribution indépendante si tu comptes élargir ton public. Toutes les majors sont venues nous faire du pied. On a signé un contrat en or avec Polydor/Universal, quelque chose qui nous convient.

Peut-on dire que 1995 est avant tout un groupe de scène ?
Alpha Wann : Oui. On est un groupe de scènes de ménages (sourire) !
Nekfeu : C'est notre métier ! On a commencé par là. C'est là aussi qu'on se rend compte véritablement de l'accueil du public.
Sneazzy West : On veut porter la scène à un autre niveau en France. Il n'y en a pas beaucoup qui présentent des shows exceptionnels. Et nous, c'est ce qu'on a envie de faire. Au Palais des Sports, il y aura une scénographie.
Nekfeu : Ceux qui nous ont déjà vus sur scène savent qu'on mouille le maillot. On vient pour faire le show, pas comme la plupart des rappeurs qui arrivent complètement saouls. On a prouvé que l'énergie était là, maintenant on va faire un effort visuel.
Pour en savoir plus sur 1995, visitez leur page Facebook.
Ecoutez et/ou téléchargez la discographie de 1995 sur Pure Charts.

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