Lorsquon lui demande pourquoi la lettre L
«
Cest évidemment linitiale de mon nom, mais pas seulement. Cest aussi, par le seul fruit du hasard, celle des noms de famille de tous mes grands-parents. Cest une lettre présente dans mon prénom et empreinte de féminité. Cest également un roman de Romain Gary, Lady L., une chanson de Babx compagnon de longue date - et bien dautres choses encore... ». Manière de dire quil peut sen cacher, des choses, et quil peut sen tramer, des histoires, derrière une simple initiale. Et on ne sétonne pas, alors, de voir sépanouir tout un univers sous le titre d"Initiale", son premier album (Top 19). Un univers couleur crépuscule, pétri des visions et des chimères de son auteur-compositeur, où se mêlent les mirages persistants du réel et les vérités flottantes de lirréel.
Ecoutez le premier single de L, "Petite" :
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Après sêtre forgée la voix dans un groupe polyphonique interprétant des chants du monde, Raphaële Lannadère fait ses premiers pas en solo au début des années 2000, reprenant de vénérables classiques (Piaf, Ferré, Brel, Barbara
) dont elle boit alors les paroles avec ferveur, comme on boit des alcools forts pour se donner le goût du vertige. Plus tard, elle embarque aux côtés du Brésilien Ricardo Tete ou côtoie Teofilo Chantre (chanteur, mais aussi songwriter pour Césaria Evora), avec lesquels elle explore les beautés de la chanson lusophone. Puis cest à la source de ses propres textes et compositions quelle prend plaisir à se griser, tourbillonnant sous la lumière des scènes de Paris et dailleurs, où sa vibrante et délicate présence laisse ses premières traces. En 2008, un EP six titres, "Premières lettres", se fraye un passage jusquaux ondes (Fip, France Inter, Europe 1 etc.). Grâce notamment à "Petite", chanson accroche-cur quon trouve aujourdhui revisitée dans "Initiale", la demoiselle tape dans loreille de prestigieux aînés,
Brigitte Fontaine et -M- en tête. Sur ces années de formation, qui lui ont appris les vertus de la patience, L porte un regard plein de gratitude.
«
Avec le recul, je mesure combien cette attente a été une chance. Elle ma notamment laissé le temps de me planter, de partir par exemple dans une direction très théâtrale, proche du cabaret, qui ma bien amusée
mais qui du coup noyait mon propos. Je navais peut-être pas assez réfléchi à lessence même des chansons ».
Cet élan vers lessentiel la menée vers "Initiale". Et pas du genre à jouer la diva drapée dans quelque hautaine solitude, elle a tenu à emprunter ce chemin avec sa «
famille de cur et de musique. Cela ne pouvait être autrement ». Ainsi, se retrouvent au générique du disque ses partenaires de scène privilégiés - la pianiste Donia Berriri, le violoncelliste Julien Lefèvre -, le talentueux réalisateur-arrangeur David Babin - plus connu sous le nom de Babx et tous ses musiciens. Traquant la nuance ou le détail qui transformera une partie instrumentale, une texture sonore ou un motif rythmique en vertige esthétique, il était, pour L, le seul à pouvoir donner à Initiale cette patine nocturne, entre velours noir et clarté stellaire, qui lui confère une envoûtante unité de ton et de souffle. «
Avec Babx, on voulait comme préalable que le disque soit plus quune simple collection de chansons. On a beaucoup réfléchi aux atmosphères, aux scènes et aux lieux, aux températures et aux saisons quil convoquait. Dans les titres plus intimistes, on voulait créer limpression dêtre dans une pièce, quon puisse sentir si les murs étaient de bois ou de pierre
Sur chaque chanson, des choses se sont dessinées comme cela, et faisaient souvent appel à des travellings, des errances, des ballades dans les rues et la nuit
Babx a cette capacité extraordinaire de scénariser la musique. Ceux qui possèdent ce don-là sont très peu nombreux ».
Visionnez le making-of du premier album de L :
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L descend de Barbara
Créée «
par chaque musicien, chaque instrument, chaque prise de son », la magie d"Initiale" repose en effet sur une alchimie qui relève autant de la sorcellerie musicale que de la féérie cinématographique. Eclairés avec une science des ombres et des lumières digne des plus grands chefs op, claviers, guitares, cordes, rythmiques et spectres électroniques créent mieux que des décors : ils inventent un monde, avec ses perspectives ouvertes et ses recoins secrets, ses reliefs et ses profondeurs, ses aubes sépias et ses moments volés à la brune, ses échos, ses reflets et ses fantômes. Un monde dans lequel la voix et les chansons de L se glissent, flottent, et se posent avec des grâces et des élégances doiseaux de nuit. La chanteuse raconte quentre 15 et 22 ans, elle sest pris de plein fouet les échappées poétiques de Bataille, Artaud, Michaux ou Genet
Le verbe libre qui court tout au long d"Initiale" prouve quelle a su faire bon usage des leçons prodiguées par ces maîtres en évasion. «
Cest le texte, toujours, qui me vient en premier, cest lui qui mévoque la couleur musicale dune chanson : je massois au piano et je cherche, comment dire les mots, comment je veux les entendre. Puis je joue avec des samples, des riffs, des lignes de basse
Je nai pas étudié la musique, mon approche des instruments est intuitive, pas conventionnelle, mais jai besoin daller au bout de mes idées. Certaines chansons d"Initiale" sont très fidèles à mes arrangements dorigine ("Mescaline", "Petite"
). Dautres ont été au contraire complètement effeuillées, réduites à leur plus simple expression, avant de revêtir les arrangements de Babx ». On lentend rêver tout haut dans sa chambre ("Je fume", "Mescaline"), enrobée dans les vapeurs opiacées du sentiment amoureux, dériver au soir tombé dans le cur des villes ("Château Rouge", "Romance et série noire"
), ou encore sabandonner corps et âme aux bras dune valse en habit de nostalgie ("Les corbeaux"), dune habanera douce-amère ("Mes lèvres") ou dune mélodie rythmée ("Jalouse")
Et sil lui arrive de se heurter brutalement à la réalité ("Petite", évocation dune sans-papier expulsée), cest pour mieux tracer ensuite de cinglantes lignes de fuite vers les territoires sans limites de limaginaire ("Initiale", "Pareil").
Dans cette harmonieuse succession de climats et de situations, L reste cette chanteuse dune intense légèreté, préférant envisager lexistence par le prisme de linvention que par le biais terre-à-terre du quotidien. «
Jai commencé à écrire avec plaisir, quand je me suis aperçue que je pouvais me détacher de moi-même. Narrer par le menu mes petits tracas ou mes courses chez Ikea, cest linverse de ce qui me touche, en musique, en littérature ou au cinéma. Après, il a fallu que je débarrasse mon chant de tous ses tics, ses manies. Depuis un an ou deux, jai limpression davoir trouvé une unité dans ma voix et mon expression, quelles que soient la tessiture, lintensité ou la dynamique des chansons. Quand on chante, on ne peut quêtre attiré par cette forme suprême de justesse et dépure quont atteint des gens comme Billie Holiday, Thom Yorke, Björk ou Lhasa
».
Aujourdhui cest sa voix, à elle, qui nous happe. Initiale nous appelle et nous attrape. On y entre tout entier, comme on se fond dans les vapeurs enveloppantes du soir. Comme on se perd avec volupté dans la mélancolie des heures divresse et dégarement. Raphaële Lannadère se produira par ailleurs le 3 octobre prochain sur la scène du Café de la Danse de Paris.