Streaming : entre 1 et 3 milliards d'écoutes frauduleuses recensées en France

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Le Centre National de la Musique (CNM) dévoile le bilan d'une enquête sur les fausses écoutes en streaming réalisées en France. En 2021, entre 1 et 3 milliards de streams frauduleux ont été comptabilisés sur Spotify ou Deezer. Tous les chiffres sur Purecharts !
Crédits photo : Pexels
Cela fait désormais plusieurs années que le streaming est devenu le mode d'écoute de musique le plus populaire en France. Pour preuve, 111 milliards d'écoutes ont été comptabilisées en 2022 sur des plateformes comme Spotify, Deezer ou Apple Music, soit une augmentation de 19% par rapport à 2021. Un énorme succès qui amène son lot de critiques. Depuis des années, bon nombre d'acteurs du secteur musical, chanteurs comme producteurs, pointent du doigt des méthodes frauduleuses et des achats en masse de fausses écoutes. Si Pascal Nègre évoquait déjà de la triche dans le streaming en 2017, Gims annonçait en 2018 l'arrivée d'une émission sur le sujet sur M6... qui n'a jamais vu le jour.

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Des triches de plus en plus perfectionnées


Aujourd'hui, c'est donc au Centre National de la Musique (le CNM) de révéler les résultats d'une enquête sur la manipulation des streams. Fruit de 18 longs mois de travail, ce bilan nommé "Faux streams, vrai phénomène" est la première étude au monde menée sur le sujet. Le CNM a ainsi fait appel à de nombreux acteurs du secteur comme des labels (Universal, Sony, Warner, Believe et Wagram) mais aussi des plateformes de streaming comme Deezer, Qobuz ou Spotify qui ont accepté de transmettre « la volumétrie globale des fausses écoutes détectées sur le marché français ainsi que des données plus détaillées sur la base des 10.000 titres les plus écoutés ». Et ce même si « les différences de méthodes de détection, de périmètres, d'outils, ont rendu l'analyse très difficile et expliquent de nettes différences dans les résultats respectifs ». Toutefois, d'autres plateformes comme Amazon Music, Apple Music ou YouTube n'ont pas souhaité jouer le jeu.

Tout d'abord, le CNM rappelle qu'en 2021, le streaming représentait 70% des revenus totaux de la musique en France (soit 500 millions d'euros) contre seulement 10% en 2011. Et l'enquête le clame sans détour : « La manipulation des écoutes en ligne est une réalité ». « La multiplication de faux streams, c'est-à-dire les procédés permettant d'augmenter artificiellement le nombre d'écoutes ou de vues pour générer un revenu, est, ni plus ni moins, du vol » résume cette enquête. Véritable arme de guerre sur un marché très concurrentiel, les streams frauduleux sont réalisés par des robots ou de vraies personnes, à travers la création de fausses playlists ou l'ajout de titres sur les plateformes.



Des fraudes sur des chansons peu populaires


Dans les chiffres, le résultat est édifiant : en 2021, entre un et trois milliards de fausses écoutes ont été recensées sur les plateformes de streaming en France. Soit entre 1 et 3% des écoutes totales en ligne. Et ce, sans compter les chiffres manquants d'Amazon Music, Apple Music ou YouTube. « On est loin des 10% dont on a souvent entendu parler. Mais la fraude est massive et a un impact fort puisqu'elle fausse la rémunération des artistes » s'inquiète Romain Laleix, le directeur général délégué du CNM interrogé par Le Parisien. Il reconnaît même que cette pratique s'est intensifiée en 2022 : par exemple, Deezer a détecté 5% de faux streams l'année dernière, soit le double de 2021 ! Ainsi, selon l'enquête, 80% des streams frauduleux proviennent des chansons qui ne font pas partie des 10.000 les plus écoutées, donc des titres qui ne sont pas les plus populaires. Certains professionnels y voient là une « volonté d'ayants droits à notoriété limitée d'émerger dans une offre très riche ou à une stratégie de "parasitisme" consistant à générer des revenus artificiels de faible volume, mais sur la durée, en demeurant sous les "radars" ».

Sur Spotify, le rap représente 84,5% des faux streams


Concernant les titres populaires, deux constats s'imposent : soit ils ne sont pas concernés, soit les fraudes sont plus difficilement détectables, car de plus en plus perfectionnées. Ainsi, les faux streams des chansons du top 10 ne représentent que 0,25% du total du Spotify et 0,65% sur Deezer. Dans le détail, il est ainsi rapporté qu'aucun genre n'échappe à cette triche et au gonflement artificiel du nombre d'écoutes. Sur Spotify, le rap/hip-hop, genre le plus populaire et écouté en France, représente 84,5% des streams frauduleux, mais seulement 27,7% sur Deezer. Mais cette fraude ne touche en réalité que 0,4% (Spotify) ou 0,7% (Deezer) de l'ensemble des chansons urbaines. Sur Deezer, ce sont davantage les musiques d'ambiance (4,8%) ou les titres non-musicaux (3,5%) qui génèrent des faux streams. De plus, sur le top 10.000 de Spotify, 96% des fraudes détectées proviennent des nouveautés, et 93% de chansons françaises.

L'étude révèle qu'entre 6 et 13% des streams frauduleux sont réalisés durant des périodes d'essai, par exemple un mois gratuit offert à un nouvel utilisateur d'une plateforme. De plus, ces fausses écoutes sont réalisées en majorité via un ordinateur (65% sur Deezer et 31% pour Qobuz) tandis que l'offre Famille, qui permet à plusieurs membres d'une même famille de profiter d'un abonnement à prix réduit, génère 54% des streams polémiques sur Deezer. Les répercussions de ce phénomène illicite sont néfastes. Tout d'abord, l'augmentation du nombre de streams, sans augmentation proportionnelle du nombre d'abonnés payants, peut entraîner « une baisse de la valeur unitaire d'un stream et donc de la rémunération des autres ayants droit ». De plus, les professionnels peuvent avoir de moins en moins confiance envers les artistes qui peuvent fournir des informations trompeuses.

Ainsi, que faire pour lutter contre cette fraude à grande échelle ? Si certains comportements sont déjà susceptibles d'être sanctionnés par la loi, le commanditaire, à l'origine de cette manipulation frauduleuse, est souvent « rarement identifié et identifiable ». Le CNM propose donc de continuer « le travail sur les données et méthodes de détections » et l'élaboration d'une « charte interprofessionnelle de prévention et de lutte contre la manipulation des écoutes en ligne » qui pourrait « arrêter une définition précise de ces pratiques » et « sensibiliser tous les professionnels » à ce problème.

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