Soupçons de triche dans le Top Albums : le casse-tête des plateformes de streaming

Par Théau BERTHELOT | Journaliste
Passionné par la musique autant que le cinéma, la littérature et le journalisme, il est incollable sur la scène rock indépendante et se prend de passion pour les dessous de l'industrie musicale et de l'organisation des concerts et festivals, où vous ne manquerez pas de le croiser.
Après les soupçons de triche entourant les ventes de l'album de Vald, le CNM réagit. A l'occasion de son prochain rapport, le Centre National pour la Musique travaille avec les plateformes de streaming pour trouver des moyens d'éviter les fraudes visant à gonfler illégalement les écoutes en ligne et les ventes de disques.
Crédits photo : Pexels / Abaca
Y-a-t-il de la triche au sein des ventes d'albums en France ? La question se pose après la polémique entourant les chiffres de ventes de "V", le dernier album en date de Vald. Mi-février, sur les réseaux sociaux, le rappeur du 93 avait poussé un coup de gueule contre la publication tardive des chiffres de ventes, pointant du doigt « des pressions d'Universal Music France et leurs techniques de rats ». Ce à quoi Bertrand Burgalat, le président du SNEP, a réagi en assurant qu'il y avait en réalité un problème de comptabilisation : « Une bonne partie des ventes physiques étaient réalisées dans une box réunissant 5 versions CD du même album, et il a été demandé de faire un comptage manuel de chaque disque, ce qui est contraire à nos règles. Nous avons donc eu des doutes légitimes sur ces chiffres ».

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"Chacun essaie de détourner les règles de comptage"


Pour le PDG mais aussi chanteur et directeur du label Tricatel, « cet épisode est symptomatique d'une industrie de la musique où chacun essaie de détourner les règles de comptage à son avantage ». Il pose notamment un problème sur des éventuels soupçons de triche au sein de l'industrie pour booster les ventes de tel ou tel artiste. D'ailleurs, Booba a justement accusé Vald d'avoir falsifié le volume de ventes de son album "V", ce qui a suscité un long clash entre les deux rappeurs. Le problème viendrait également des écoutes sur les plateformes de streaming. C'est ce que note Ludovic Pouilly, chargé des relations institutionnelles et avec l'industrie musicale chez Deezer : « On a d'abord vu des artistes émergents se créer artificiellement un volume d'écoute ou un volume de followers sur les réseaux - la fraude ne concerne pas que les plateformes musicales - pour démarrer une carrière ». Et ces fraudes toucheraient aussi des artistes très populaires : « Depuis plus d'un an, on voit des artistes, avec une notoriété plus établie, qui ont des vrais streams mais vont chercher des streams artificiels pour accompagner un positionnement dans les charts ».

"On peut acheter des comptes pirates sur le dark web"


« La fraude s'est déplacée vers des faux comptes sur les plateformes musicales. On peut acheter des comptes pirates sur le dark web ou via des boîtes qui ont pignon sur rue » ajoute de son côté Sophian Fanen, journaliste et auteur du livre "Boulevard du stream". Pour essayer de réguler les chiffres et éviter au maximum les triches, le Centre National pour la Musique (CNM) a demandé aux plateformes de streaming de collaborer à l'occasion de son futur rapport. Et la réponse a été différente selon les sites d'écoutes, confirme le président du CNM Jean-Philippe Thiellay : « Spotify, Deezer, Qobuz jouent le jeu. Apple Music et Napster aussi, dans un degré moindre mais la communication fonctionne avec nous. Les autres, non ». Sophian Fanen poursuit en assurant que Deezer a, depuis une dizaine d'années, un département dédié pour lutter contre une « fraude de plus en plus sophistiquée ». Si « un compte qui streame massivement un album toute la nuit, c'est un comportement atypique et c'est alerte rouge chez les plateformes », certains trouvent des parades : « Une des astuces est de saupoudrer les faux streams, avec une demi-heure de tel album par-ci par-là, et pas cinq heures. C'est plus complexe à repérer ».



Comment éviter au maximum ces soupçons de fraudes ? « Changer la culture du stream » poursuit le journaliste, afin d'arriver à une rémunération plus juste pour les artistes. C'est notamment ce que fait Deezer en misant sur la méthode dite du "user centric" : la somme qu'un abonné paie mensuellement va donc directement aux artistes qu'il écoute le plus. Un système contraire au "data centric" qui consiste à reverser l'abonnement d'un utilisateur aux artistes les plus écoutés sur la plateforme de streaming et pas forcément ceux qu'écoute ledit abonné. Pour Ludovic Pouilly, le "user centric" « tuerait une partie de la fraude, celle qui consiste à acheter des streams ». Malgré cela, tout ne serait pas réglé et d'autres systèmes de fraude, comme « des comptes hackés dans le dark web par exemple », continueraient à subsister. Un casse-tête qui n'a donc pas encore trouvé de solution définitive.

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