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Qui aurait parié sur le retour en force du vinyle ? Quasi enterré il y a 15 ans, le 33 tours est de nouveau au sommet depuis quelques années,
battant même des records de ventes. Et le public est aussi friand de se replonger dans les classiques des Beatles,
Pink Floyd ou
Michael Jackson que d'écouter avec curiosité les nouveautés qui sortent chaque semaine, et qui sont souvent déclinées dans de nombreuses éditions limitées ou colorées. Sauf que l'énorme engouement suscité par le vinyle a un revers, et encore plus depuis le début de la crise sanitaire. Si sa fabrication est très polluante, la galette noire est victime de son succès. Peut-être beaucoup trop, au vu des énormes délais de fabrication dans les presses des usines européennes, dont les trois principales sont situées en France, en Allemagne et en République Tchèque. Selon un expert cité par
Billboard, les usines peuvent fabriquer 160 millions de vinyles par an. En ce moment, la demande est «
quelque part entre 320 et 400 millions d'unités ».
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Cette demande occasionne des mois de délai parfois très importants pour l'arrivée des vinyles des nouveaux albums à paraître dans les mains du public. Par exemple,
"Brûler le feu", le dernier disque de Juliette Armanet, ne sera disponible que le 10 décembre au format vinyle, près d'un mois après sa sortie en CD et sur les plateformes de streaming. Même le gros succès de cette fin d'année, "Civilisation" d'Orelsan qui s'est d'ores et déjà écoulé à plus de 185.000 exemplaires, n'est pas encore disponible en vinyle et aucune date précise n'a été avancée. Cette pénurie inquiète à l'approche des fêtes de fin d'année, là où les artistes réalisent les plus grosses ventes physiques. Et en cette année 2021 marquée par les nouveaux albums d'Ed Sheeran, ABBA,
Coldplay ou Taylor Swift, très plébiscités en vinyle, la situation est de plus en plus préoccupante.
Adele a-t-elle bloqué l'industrie ?
D'autant qu'il a été révélé par
Variety que l'
album "30" d'Adele a monopolisé les usines de fabrication : la star a fait presser 500.000 vinyles, ne laissant que des miettes aux autres artistes, notamment ceux de plus petite notoriété. L'artiste anglaise a d'ailleurs rendu son disque il y a six mois pour être sûr qu'il soit fabriqué dans les temps. Un embouteillage sur lequel s'est exprimé
Ed Sheeran à la radio australienne, lui qui a dû se dépêcher pour terminer
"Equals" en temps et en heure : «
J'ai rendu mon album en juillet pour pouvoir le faire presser en vinyle. Il y a trois usines de vinyles dans le monde donc il faut vraiment le rendre en avance. Adele a réservé toutes les usines de vinyles donc on a dû se dépêcher. Il y avait moi, Coldplay, Adele, Taylor [Swift], ABBA, Elton [John]... Tout le monde voulait faire presser ses vinyles au même moment ».
Si une star de la trempe d'Ed Sheeran a dû se résoudre à se dépêcher, les artistes plus confidentiels ont quant à eux été complétement mis de côté, faisant face à des délais de plusieurs mois avant de pouvoir faire presser leurs vinyles. Une production à deux échelles que déplorait la chanteuse américaine Laura Jane Grace sur son compte Twitter : «
Si vous n'êtes pas dans un groupe, et que vous ne finissez pas votre album dans les trois mois qui viennent, le vinyle ne sortira pas avant 2023 ». Les médias anglo-saxons pointent du doigt les grosses stars de la pop précitées qui ont monopolisé les presses, au détriment du reste de la production mondiale. Taylor Swift, notamment, a appris de ses erreurs. Après avoir fait patienter ses fans avant la sortie en 33 Tours de
"Folklore" et "Evermore", arrivée avec plusieurs mois de décalage par rapport à sa sortie en streaming et au format CD, le quadruple vinyle de "Red (Taylor's Version)" est arrivé à temps dans les bacs le 12 novembre. «
Si vous manquez la date de sortie de votre album de trois ou quatre mois, cela peut réduire vos ventes de vinyles de 30 à 40% de ce qu'elles auraient été normalement » explique à
Variety David Macias, chef du label indépendant Thirty Tigers.
Six mois d'attente pour faire presser un vinyle !
Ainsi, l'énorme embouteillage crée par le nombre imposant d'albums à presser pourrait générer une pénurie de vinyles pour Noël. Comme l'explique au
Parisien Mathieu Dassieu, président de la Fédération Nationale des Labels Indépendants, les délais de fabrication sont passés «
de huit à douze semaines de délais en 2020 à six mois en ce moment ». Un groupe qui rendrait aujourd'hui son disque pour le faire presser devra attendre jusqu'à août 2022 avant de l'avoir véritablement entre les mains !
Une "crise de la fabrication"
Et si l'on ajoute à cela les nombreuses rééditions, dont celles des Beatles ou de
Nirvana pour les anniversaires de "Let It Be" ou
"Nevermind", les artistes issus des labels indépendants sont obligés de patienter plusieurs mois, voyant leurs projets passer «
en dernier », comme le déplore Bertrand Burgalat, chanteur et président du SNEP. Certains disques pourraient d'ailleurs se retrouver en rupture de stock en raison de ce calendrier en surchauffe. «
Quand les fonds de catalogue les albums qui ont entre 2 et 50 ans - sont écoulés, on sait qu'on n'en recevra pas d'autres » regrette Christian Rogerg, le directeur commercial chez Starter Les Nouveaux Disquaires, un réseau de disquaires indépendants.
«
Les labels indépendants et leurs artistes sont encore plus dépendants des ventes physiques que les majors. Elle représente 50 % de notre chiffre d'affaires alors que c'est autour de 20 % pour les majors, qui misent essentiellement sur le digital. Cette crise de la fabrication nous touche de plein fouet » poursuit Mathieu Dassieu. Il faut, de plus, rajouter la crise des matières premières dont le polymère, un produit obtenu par la transformation chimique du pétrole, qui impacte encore plus la fabrication des vinyles, et génère
une augmentation des prix qui «
dépasse l'entendement » : jusqu'à 19 euros par référence. Il faudra donc faire preuve de patience avant de poser le prochain disque de votre chanteur ou groupe préféré sur votre platine...