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Elodie Frégé : "Je suis un paradoxe ambulant"

Elodie Frégé a publié lundi son quatrième album, trois ans après avoir nagé en pleine littérature pour devenir "La fille de l'après-midi". L'artiste, révélée en 2003 dans le télé-crochet "Star Academy", revient cette semaine avec treize "Amuse-bouches", treize friandises à consommer sans modération. Comme un prolongement de "La ceinture", Elodie Frégé parle ouvertement de désirs et de pulsions érotiques sans jamais tomber dans la vulgarité. Une frontière mince avec laquelle elle aime jouer. Rencontre.
Crédits photo : André Rau
Propos recueillis par Jonathan Hamard.

On te connaissait coquine depuis la sortie de ton deuxième album "Le jeu des 7 erreurs" en 2007. Là, tu enfonces le clou avec cet "Amuse-Bouches". Interprètes-tu un rôle dans chacune de tes chansons ?
Elodie Frégé : Je ne parle jamais de ma vie privée (sourire) ! C'est à toi de deviner. C'est ça qui est bien dans le mystère. On ne sait pas ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. C'est vrai, il y a une partie de jeu. Je trouve ça plaisant d'incarner ces femmes fatales. Peut-être que je ne suis pas du tout une femme fatale après tout. Mais je crois qu'il y a une toute petite partie de moi qui aime bien goûter à ça. Il y a toujours un peu de moi dans mes albums. Je trouvais ça intéressant d'aller plus loin que "La ceinture". Parce que j'ai toujours été pudique dans ma façon d'écrire, même si je parlais de choses sensuelles, sexuelles parfois, de rencontres, d'amours un peu perturbés... C'était plutôt mélancolique avant. Et même quand il y avait ébat, il y avait quand même un fond de désillusion et de mélancolie.

Un auditeur lambda peut être perturbé par cette espèce de paradoxe entre la femme que tu es, pudique et de nature réservée, et ce que tu es capable d'écrire ou jouer dans tes clips...
Je suis un paradoxe ambulant ! J'assume le fait d'être une artiste qui fait des choix. Je pense que tout ça n'est pas grave. Il y a des choses bien plus vulgaires que ce dont je parle dans mon disque. C'est vrai que j'ai un côté assez félin dans la vie, dans ma façon de parler et de chanter, qui va avec cette musique-là, un peu chaloupée, comme la bossa nova. Tout ça s'accorde très bien avec la sensualité et la féminité. Mais ce n'est jamais gratuit. Il y a toujours derrière quelque chose d'assez cérébral, d'assez pointu. Je l'avoue, oui, que le mélange des deux est un paradoxe, un peu comme l'était Marilyn Monroe. C'était une fille très cérébrale, très névrosée, avec un physique de poupée, qui s'en servait pour recevoir de l'affection.

Il ne faut pas culpabiliser d'avoir du désir et d'être gourmand
On la retrouve à travers toi dans ton nouveau clip "Comment t'appelles-tu ce matin ?". C'est un modèle ?
Je n'ai pas vraiment de modèle. Mais j'avoue qu'il y a des femmes qui m'émeuvent vraiment. Je trouve que Marilyn est très émouvante. Avec toutes les erreurs qu'elle a faites. Avec toutes les failles dues à son passé et son passif. Avec tous ses talents et toute l'énergie qu'elle dégageait... Je trouve que ça en fait une des femmes les plus intéressantes qu'on ait eu la chance d'avoir sur terre.

Il y a Marilyn Monroe, mais aussi Brigitte Bardot, qu'on retrouve d'une certaine façon sur ce disque avec la reprise du titre "Tu veux ou tu veux pas". Elle est l'une de ces figures féminines emblématiques à laquelle tu avais déjà été comparée en 2007 à travers le clip "La ceinture"...
Ce n'est pas volontaire (rires) ! Peut-être que ces femmes ont un point commun. Ce sont des femmes qui me donnent l'impression d'être plutôt impulsives, plutôt tourmentées parce que leur beauté s'est retournée contre elles. Je trouve Brigitte Bardot d'autant plus fragile et touchante pour ça.

Sur ce nouvel album, tu abordes le sexe de manière très directe et avec aucune gêne. Pour certains, ça peut être dérangeant...
Cet album s'appelle "Amuse-bouches". Si je ne m'amuse pas, ça ne sert à rien.

On nage dans l'érotisme, mais jamais dans le vulgaire. La frontière entre les deux est mince. Comment fait-on pour toujours rester du bon côté ?
C'est prétentieux de ma part de dire ça, mais je crois que chez moi c'est naturel. J'ai pourtant un humour potache assez développé. Je peux aller loin dans la vulgarité. Je peux rire de tout. Je peux aborder tous les sujets avec humour et en utilisant tous les mots possibles de la langue française. Même ceux qui sont très vulgaires, mais que je n'ai pas utilisés dans mes chansons. Je pense que je fais partie des gens qui n’imprègnent pas une vulgarité. Je crois en tout cas. Je peux me tromper.

Contrairement à une artiste comme Madonna, par exemple, que beaucoup trouvent très vulgaire...
Elle est peut-être devenue vulgaire parce qu'elle essaie de rester celle qu'elle a été. Plus jeune, elle était peut-être provocante, mais elle n'avait pas ce truc agressif. Souvent, l'agressivité rend la femme vulgaire. J'émets une simple hypothèse. Moi, j'aborde les choses avec simplicité, sérénité. Avant, je parlais quand même de rapports à deux avec beaucoup de pudeur et de littérature autour. Cette sensualité existait déjà mais on la voyait peut-être moins. Il y avait déjà ce rapport à l'autre dans le charme et dans les codes de la séduction. C'est un truc qui me sied bien. Donc, du coup, je continue dans ce rôle et je m'en amuse. Ça me permet de m'exprimer artistiquement. Sur "La fille de l'après-midi", je m'étais justement beaucoup lâchée dans la littérature. Je crois que j'ai presque tout fait sur ce disque. Ça m'a libéré d'un poids. Je crois que je suis devenue plus légère et plus directe dans ma façon d'écrire.

Quand on est perdu et qu'on cherche de l'affection, pourquoi ça ne serait pas dans les bras d'une femme ?
Tu as aussi grandi !
Oui. Je suis une femme. Comme aujourd’hui j'ai 31 ans, je crois que je peux me permettre d'assumer un album comme celui-là. Je pense qu'on peut s'amuser de tout. Je crois qu'il ne faut pas culpabiliser d'avoir du désir et d'être gourmand (sourire). On est des êtres de chair. Les animaux se nourrissent par besoin. Nous, on mange aussi par plaisir. Les animaux ont des rapports sexuels parce qu'il faut procréer à tout prix. Nous, on le fait aussi par plaisir. En tout cas, la plupart des humains (rires) ! Je trouve ça intéressant de mettre en avant le fait qu'on ait intellectualisé le sexe. C'est très épanouissant d'en parler.

Et l'amour dans tout ça ? Ce n'est le thème principal d'aucune chanson. On le trouve un peu dans "Tes yeux", "Garce carbonique" et puis "La maladie"... Elodie Frégé n'a plus envie d'aimer ?
Mais c'est normal ! J'en ai déjà tellement parlé dans mes trois albums précédents. Surtout sur le deuxième et le troisième. Je ne sais pas ce que ça veut dire "être romantique". Parfois, ceux qui n'expriment pas leur amour sont plus romantiques que ceux qui disent toujours "Je t'aime". Sur ce disque-là, j'ai voulu désacraliser un peu les choses. Parce que j'avais l'impression d'être un grande drama queen de l'amour. Je suis une grande fan de littérature classique. Je lis encore Balzac (sourire) ! J'adore le romantisme exacerbé. C'est quelque chose qui me touche dans le cinéma et la littérature.

Crédits photo : André Rau
D'un point de vue musical, les arrangements et les rythmes font de l'album un disque qu'on a envie d'écouter l'été. C'est parce qu'il a été écrit et enregistré près d'une plage à Miami ?
C'est possible. Mais j'avais de toute façon demandé à Marc Collin d'utiliser sa patte, comme sur les albums de Nouvelle Vague. C'est quelque chose qu'il avait déjà, cette chaleur, cette façon de compresser les voix, d'utiliser des boîtes à rythmes avec des sons chaloupés, les guitares bossa nova... Il y avait un vrai désir d'aller vers ça. Parce que c'est quelque chose qui m'a toujours plu. D'ailleurs, dans mon premier album, il y a une chanson qui s'appelle "Je te dis non", et qui est une bossa nova. Elle reste ma chanson préférée de ce disque-là et c'est la seule que je puisse encore reprendre sur scène. Elle me va bien. Et puis, moi, j'ai appris la guitare classique. Il y a énormément de choses hispanisantes dans la guitare classique. J'ai beaucoup écouté les premiers morceaux de Gainsbourg, toute cette période-là où il a beaucoup utilisé les rythmes latinos. J'ai beaucoup écouté aussi Philippe Katerine, dont je reprends la chanson "Ma langue au chat". Je suis fan de son album "Mes mauvaises fréquentations", qui est très latin-bossa nova avec un fond mélancolique et romantique toujours présent. Je pense que c'est là que je me situe. Ça me ressemble vraiment.

Je suis consciente de faire une musique un peu plus restrictive
Travailler avec Marc Collin, c'était un choix délibéré ou le hasard d'une rencontre ?
En fait, je n'ai pas fait de liste pour cet album-là. Je connaissais bien le travail de Marc. On s'était loupé sur un autre projet. Pas un projet à moi mais un projet à lui. J'aime vraiment ce qu'il fait et sa façon de travailler est très intéressante. Il allie modernité et désuétude en même temps. C'est un don. Parce que, pour le faire, il faut avoir le flair. On l'a contacté et il a dit oui tout de suite. On a commencé à se voir. Il a écouté ce que j'avais composé et puis on a fait les maquettes pendant quelques mois. Je mets énormément de temps pour écrire. C'est le seul qui a respecté cette langueur et cette longueur. C'est la personne la plus sereine pour travailler que j'ai rencontrée.

Parmi tes nouvelles chansons, c'est "Pique-nique sur la lune" qui a retenu mon attention. Tu y chantes qu'il est bon de s'envoyer en l'air pour oublier le quotidien morose...
C'est Marc qui a fait la musique. J'ai trouvé ça assez amusant cette idée de la gourmandise associée à l'idée de s'envoyer en l'air. Ce n'est pas du tout à ça que j'avais pensé en l'écrivant. J'ai une écriture assez intuitive. Ça vient d'un seul coup et je ne réfléchis pas sur ce que j'écris. C'est comme les réconciliations sur l'oreiller, c'est pour oublier les disputes et la discorde (sourire). J'aime l'idée de quitter la terre pour passer du temps avec quelqu'un qu'on aime... ou pas d'ailleurs (rires) !

Un peu comme dans le clip de ton nouveau single, qui ne passe pas inaperçu ! Tu ne crains pas de choquer ?
Je t'avoue que je me suis surprise moi-même. Mais c'était le moment de faire ça. Parce qu'après, je vais me décatir et je ne pourrais plus (sourire) ! Il y a un message aussi très fort dans ce clip, que les gens ne vont peut-être pas voir tout de suite. C'est la solitude de cette femme qui essaie de trouver quelqu'un. Marilyn, elle, se noyait dans l'ivresse des médicaments et de l'alcool. Avec l'ivresse, tu oublies souvent ce que tu fais. Elle a tout essayé pour ne pas se retrouver seule. Finalement, elle l'a toujours été et ça a fini par la tuer. Je ne veux pas véhiculer ce message triste, mais, dans ce clip, il y a quand même une fille un peu perdue. Et c'est d'ailleurs pour ça que ça ne me représente pas du tout. Je n'ai pas vécu ce genre de choses. Je me protège beaucoup. On a tous eu un moment où on est seul dans son appartement, on se dit qu'il faut trouver quelqu'un. Il nous faut des bras serrés autour de nous. Et parfois, on se retrouve dans les bras d'inconnus...

Jenifer a très bien mis en valeur les chansons de Michel Berger
De femmes parfois, comme dans ce clip... C'est d'actualité !
J'ai écrit cette chanson bien avant tout ça ! C'est la première chanson que j'ai écrite pour ce disque. C'était il y a un an et demi je crois. Je ne pensais pas du tout à ça à ce moment-là. Marilyn a fréquenté une femme en particulier si je me souviens bien. Mais, quand on est perdu et qu'on cherche de l'affection, pourquoi ça ne serait pas dans les bras d'une femme ? Quand les hommes ont trop déçu, certaines femmes se détournent d'eux pour se rallier à une autre femme. J'ai déjà vu ça. Je ne parle pas de moi spécialement (sourire), mais j'ai déjà vu des femmes virer de bord pour finir leur vie avec une autre femme parce qu'elles avaient été déchirées par une relation avec un homme. Et puis, de toute façon, la vie est longue. On change. On a vraiment le choix. Après, c'est une question de chimie. Quand on préfère vraiment les hommes, ou vraiment les femmes, on le sait. Parce que c'est un truc chimique. On n'y peut rien. C'est quasi animal. Mais le cœur peut aimer un homme ou une femme. J'ai beaucoup d'amis gays ou lesbiennes. Je suis très entourée. Je ne crois pas être quelqu'un d'intolérant. Je crois que d'avoir fréquenté autant de gens et de milieux différents, ça me permet d'être très ouverte et de pouvoir écrire ce genre de chansons.

Regardez le nouveau clip d'Elodie Frégé, "Comment t'appelles-tu ce matin ?" :



Parmi les premières lauréates de "Star Academy", tu es la seule à ne pas avoir sorti d'album de reprises. Même Olivia Ruiz s'est risquée sur un EP jazz l'an dernier. On a pourtant parfois le sentiment que beaucoup d'artistes sont contraints à se prêter à ce genre d'exercice...
Je pense qu'ils auraient pu me demander de faire un album de reprises érotiques. Mais je n'aurais repris que du Gainsbourg. Parce que c'était lui le plus doué pour ça. Mais j'écris et je compose. C'est un atout que je ne souhaite pas mettre de côté. Après, je ne sais pas pour Nolwenn et Jenifer. Je pense que c'est important d'imposer son style, sa patte. Moi, je n'ai pas un public aussi large que mes deux consœurs. Mais ce n'est pas grave ! Je suis consciente de faire une musique un peu plus restrictive en termes d'écoute. Et surtout, j'ai envie de continuer à écrire et composer. C'est un des bonheurs premiers dans ma vie. D'ailleurs, je commence à le faire pour d'autres gens. Je me vois mal d'un seul coup délaisser ça pour faire un album de reprises. Peut-être qu'un jour je le ferai par pur plaisir...

Toi qui étais présente à l'émission "Samedi soir, on chante France Gall", comment réagis-tu face au tollé médiatique que provoque le dernier album de reprises de Jenifer, "Ma déclaration", et notamment la récente interview de France Gall publiée par Le Parisien ?
Je n'ai pas à réagir. Mais je ne comprends pas vraiment. J'ai tout de suite pensé à la chanson de Philippe Katerine qu'il y a sur mon album. Je me suis dit qu'il va peut-être détester ce que j'ai fait et qu'il pourrait faire la même chose. Mais je ne pense pas que Philippe Katerine et France Gall soient dans le même état d'esprit. Ce n'est que de la musique ! Moi, je serais ravie que quelqu'un reprenne "La ceinture". Jenifer a très bien mis en valeur les chansons de Michel Berger. Parce que ce sont les chansons de Michel Berger ! Jenifer a le droit de les interpréter.

Je n'écrirai pas pour le plaisir de me faire un peu de pognon sur le dos de quelqu'un
Universal a même dû intervenir pour remettre les pendules à l'heure en publiant un communiqué.
Je ne sais pas comment les choses se sont faites. Pour Jen', je trouve ça vraiment dur. L'album est sorti et cet article est arrivé juste après. Je peux comprendre que France Gall, si elle n'était pas au courant, tombe des nues. Mais je ne pense pas que ce soit quelque chose qui ait à voir avec Jenifer. Je pense plutôt que ça a à voir avec Universal. Et si France Gall doutait de sa valeur aux yeux des Français, elle sait maintenant qu'elle est toujours là. Jenifer parle très bien d'elle, vraiment dans des termes élogieux.

Tu mentionnais à l'instant que tu commençais à écrire pour d'autres personnes. Il me semble que tu travailles sur le premier album de Karen Brunon. C'est toujours d'actualité ?
Toujours ! Mais elle vient d'avoir un enfant. Donc c'est en standby ! Je lui ai écrit quatre textes déjà. Son album est réalisé par Benjamin Biolay. Donc ça reste en famille. Je crois qu'il y aussi Keren Ann qui participe à ce projet. J'aime beaucoup de ce que fait Karen. On a la même approche des choses donc ça n'a pas été très compliqué de se comprendre. C'est un vrai plaisir d'écrire pour elle. J'ai été très flattée de sa demande. J'ai aussi écrit un texte pour Elisa Tovati, qui est une grande amie. Je suis très fière de la chanson. Elle a vraiment du chien Elisa ! Elle est très, très professionnelle. J'aimerais bien écrire pour Camélia Jordana. Mais je ne sais pas trop où elle en est. Souvent, les gens que j'admire écrivent eux-mêmes. Je n'écrirai pas pour le plaisir de me faire un peu de pognon sur le dos de quelqu'un. J'aime par-dessus tout les rencontres. Il faut vraiment que j'apprécie les gens, que je me montre inspirée. Sinon, je ne donne rien.
Pour en savoir plus, visitez elodiefrege.com, ou son MySpace officiel.
Ecoutez et/ou téléchargez le nouvel album d'Elodie Frégé sur Pure Charts.

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