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jeudi 13 septembre 2012 12:00

Marc Lavoine : "L'amour est mon moyen de transport favori"

A l'occasion de la sortie de son nouvel album "Je descends du singe", Marc Lavoine a accordé sa toute première interview pour le web à Pure Charts. L'interprète de "Toi mon amour" en profite pour se livrer en toute sincérité, mais aussi avec pudeur, restant prudent dans ses réponses sur des questions existentielles comme au sujet de ce qu'il peut ou ne peut pas dire en tant qu'artiste. Comme dans les dix titres de son nouveau disque, Marc Lavoine nous parle d'amour, l'amour des autres et du travail qui le font avancer dans la vie. Rencontre.
Crédits photo : Richard Schroeder
Propos recueillis par Jonathan Hamard

Pure Charts : Pour la sortie de votre nouvel album "Je descends du singe", vous vous êtes en quelque sorte ouvert au web avec la création d'un nouveau site internet, d'un compte Facebook et Twitter. Pensez-vous qu'il est indispensable aujourd'hui pour un artiste d'établir un lien par Internet avec le public ? L'artiste du 21ème siècle n'est plus le même que celui du 20ème siècle ?
Marc Lavoine : Le fond reste le même, mais on doit adapter sa façon de penser. Vous voyez que depuis 2011, Twitter gagne en popularité, Facebook aussi. Les gens perdent la vie en trois secondes ! Des personnes sont devenues des stars en quelques minutes et se sont fait brûler le soir même avec Internet. Ceux qui sont nés avec ce nouveau média auront le gilet par balle qui va avec, ou la capacité à comprendre comment tout ça évolue. A partir du moment où l'on vient au monde et que l'on a déjà sa page Facebook, ça change toute une vie. Je suis d'un monde où l'on ne dit pas tout, où la parole doit être plus abstraite que les actes. J'ai connu la vie en 45 Tours, la vie en polaroid... J'ai connu la vie en CD, avec Top 50, sans Top 50, avec trois chaînes... Maintenant il y a le câble (rires) ! Mais l'intemporalité reste ce qu'elle est : Rimbaud reste ce qu'il est, Picasso reste ce qu'il est. Et il y a aussi dans toute modernité une part de superflu qui partira avec le temps comme une mauvaise couleur s'efface petit à petit dans les écumes de la machine.

"Je descends du singe", c'est seulement dix titres. 36 minutes. Etait-ce une volonté de votre part de réaliser un disque court ?
J'ai voulu cet album court. C'est vrai que les albums que j'aime de Leonard Cohen ou de Serge Gainsbourg le sont aussi. Je n'avais pas envie de mettre de bonus, de making-of, et je n'attends pas Noël pour proposer trois titres de plus. Je n'aime pas ça. C'est du bobard ! Dix chansons à écouter, c'est déjà beaucoup. Surtout si elles ne sont pas bonnes, il faut se les farcir (rires) ! Je ne peux pas encore dire si cet album est bon, il vient de sortir. J'attends de voir si des gens me disent qu'ils l'aiment. Il y a des films d'1h30 qui paraissent longs et d'autres de deux heures qui paraissent courts. Je ne connais pas la sensation des auditeurs qui découvrent ce disque et l'écoutent. A mes amis, quand j'ai commencé à travailler sur ce projet, parce que j'ai travaillé dessus totalement à découvert, sans le penser au préalable, j'ai dit : "Le fond et la forme, c'est la même chose !". Parce qu'on peut très bien demander au guitariste d'enregistrer sa partie, à l'ingénieur de capter le son, le parolier d'écrire... Mais non ! "Faisons ensemble ce que nous devons faire !". C'est ce que j'ai demandé à Christophe Casanave.

Je suis ignorant et je ne demande qu’à apprendre
Christophe Casanave, avec qui vous avez déjà travaillé. D'ailleurs, on pourrait presque appliquer le proverbe "On ne change pas une équipe qui gagne" pour "Je descends du singe". Vous avez principalement travaillé avec la même équipe que "Volume 10".
Christophe Casanave sait que j'aime beaucoup son travail. Il a fait des musiques qui m'ont enchanté. Nous avons fait treize titres pour cet album. Je n'en ai enregistré que onze, dont une que nous n'avons pas voulu mettre sur ce disque parce qu'elle ne concordait pas vraiment avec le reste de l'histoire de cet album. C'est une très belle chanson mais trop forte. Vraiment ! C'est comme lorsqu'il y a une séquence qui sort du film, il prend un coup, c'est inévitable. Nous avons été rigoureux, exigeants, et ensemble surtout. La pochette a été fait en même temps, tout comme le film réalisé spécialement pour le disque. Tout s'est fait de manière cohérente. J'aime bien envisager mon travail dans la durée. Je travaille avec mon producteur depuis 1982. J'aime bien les projets en collectivité, avancer ensemble avec les mêmes personnes.

C’est aussi plus facile de travailler avec une équipe qui se connaît bien et qui connaît aussi vos attentes...
Nous avons une vision avec un projet. Notre amitié et nos relations nous permettent d’être exigeants, de nous dire les choses de manière très franche, même si elles ne font pas plaisir. Mais je n’ai pas d’obligations envers toute cette équipe qui m’entoure. Il m’est arrivé de quitter des personnes pour diverses raisons. Ça arrive, mais c’est assez rare. Je trouve que c’est bien de s’inscrire dans le temps. J’ai aussi la chance de rencontrer des gens qui aiment le travail, qui sont intelligents et qui sont très doués dans leur domaine.

Vous dîtes « avancer ensemble ». Avez-vous appris de ces personnes-là ?
Je suis ignorant et je ne demande qu’à apprendre. Je m’intéresse à l’intelligence des autres. C’est important d’apprendre tous les jours quelque chose de plus, ou de comprendre quelque chose de plus. Soit sur le monde qui m’entoure, soit sur l’histoire de ce monde. Sur le courage de ceux qui ont combattu des idées qui réunissent aujourd’hui ! Il faut savoir s’entourer de gens fins, de connaisseurs. J’ai très vite été seul. J’ai arrêté l’école à mes seize ans. Ce qui m’a fait devenir ce que je suis aujourd’hui, c’est aussi ma détermination, ma capacité à apprendre et ma sensibilité. Je sais que j’ai des qualités, mais je sais que les qualités des autres m’ont rendu meilleur.

Votre soif d’apprendre a peut-être trouvé ses limites avec "Je descends du singe". Dans ce nouvel album, vous vous posez des questions existentielles mais ne livrez pas toujours les réponses. Comment toutes ces interrogations se sont-elles présentées à vous ?
Perdre un être cher, ça peut arriver à tout âge. Je parle de perdre l'essentiel, ce qui alimente notre respiration permanente. Je parle de ma mère, pour laquelle je chante "Ballade pour Michelle". J’ai perdu connaissance quand j’ai appris la disparition de ma mère. Le centre de mon monde a explosé. Mais le jour se relève. Et puis, on cherche à comprendre à l’intérieur de soi comment tout cela se passe. On va chercher dans son ventre. J’ai compris qu’il fallait la laisser partir, la libérer. A partir de là, la vie c’est de la joie et du chagrin. Et ça peut être beau le chagrin ! C'est sans doute là que je suis parti.

Est-ce d’une certaine façon expiatoire pour vous de chanter un titre en hommage à votre mère ?
J’avais besoin de la laisser partir. Dans notre société, on a beaucoup de mal à parler de ces choses-là. On s’enferme toujours dans un manteau noir, un manteau qui peut être très mortifère pour moi-même mais il faut choisir la vie. Les gens m’ont convaincu aussi. Mon père était communiste et ma mère chrétienne. Ça fait de moi un chrétien-communiste ! Mon père est parti d’une certaine façon, ma mère d’une autre. Et elle me dit peut-être d’une certaine façon : "J’ai besoin que tu me laisses". Je redeviendrais bien petit garçon pour entendre le son de sa voix, revivre tout le petit quotidien du matin, avant d’aller à l’école… L’odeur du petit déjeuner qu’elle a préparé… Je revivrais bien ces choses-là. Mais ce n’est plus possible. La vie a pris un autre tournant. Et je vis avec mes enfants, avec mes amis qui m’entourent, avec mon frère. Je vois encore dans ses yeux cette protection. Le monde bouge, mais les choses restent. C’est un mélange. Je pense que les choses continuent à se transmettre en nous. J’ai le devoir de transmettre le bonheur qu’on m’a apporté. J’ai ce devoir d’être heureux pour mes enfants, d’être là, réellement, de ne pas être absent. J’espère que cette chanson ne dérange pas.

C'est une mise à nu de Marc Lavoine ?
Le travail, c'est la construction d'une vie
Les chansons que j'écris, je ne les termine pas. Ce n'est pas à moi de le faire. On retrouve dans "Ballade pour Michelle" un peu de mysticisme et un peu de chair. C'est un mélange. C'est à chaque personne d'entendre cette chanson. Il y a celle que j'écris et celle que je chante. Ce n'est déjà peut-être pas la même (sourire). Je ne chante pas non plus la même chanson pour tout le monde. Je chante la même chanson pour chacun d'entre nous.

Chacun apprécie une chanson à sa manière. C'est le public qui décide du destin d'une chanson si je vous comprends bien...
Il faut laisser les gens apprécier la musique par eux-mêmes. C'est eux qui choisissent. Les gens ne sont pas des imbéciles. Ils ont choisi Edith Piaf, Picasso... Les grands artistes sont populaires. Si l'on se penche sur l'Histoire et l'Histoire de l'Art, nous avons retenu des actes et des personnes. On ne nous a pas imposé de se souvenir d'Alexandre Le Grand ! On ne nous l'a pas imposé à coup de marketing ! Le public est très intelligent. Il faut donc faire attention à ce que l'on dit. Il faut faire attention à soi-même aussi. Il faut rester humble, exigeant, et favoriser le travail. Il n'y a que le travail qui compte. Je travaille tout le temps. Le travail construit notre vie ! La vie, c'est un grand puzzle avec des milliers d'heures de travail.

Le travail est très important dans votre vie, mais l'amour aussi. Il est présent dans chacun de vos nouveaux titres. L'amour est-il une sorte de refuge ?
Ce n'est pas un refuge. Alors, bien sûr, les chansons d'amour ont peut-être un aspect un peu désuet aujourd'hui pour certains. Mais je vais vous dire une chose. Je me suis plongé dans des lectures concernant la déportation pendant la deuxième guerre mondiale. J'ai lu toute une littérature tzigane et des lettres écrites par des personnes ayant été victimes de la déportation. Chacune de ces lettres commence par ces mots : "Mon amour, j'ai deux mots à te dire". La dernière provocation, la dernière liberté, quand on est enfermé, bâillonné, c'est l'amour. Un tableau, ce n'est pas un élément décoratif ! C'est un cri d'amour, une arme. Ce n'est pas vous qui le regardez, c'est lui qui vous questionne. Derrière toutes les guerres ou n'importe quel coup d'état, il y a eu une histoire d'amour. L'amour c'est du rire, c'est un souffle, une promesse ou encore un espoir. L'amour, c'est la provocation ultime dans un Etat qui veut vous écraser. C'est la raison de notre existence. Ça, c'est ma vision de l'amour. Très philosophique j'en conviens (rires) ! Et à mon échelle, l'amour est mon transport en commun favori.

Découvrez en avant-première une vidéo acoustique du titre "J'ai vu la lumière" de M. Lavoine :



La raison de notre existence, vous pensez que nous pouvons la trouver dans la science ou la religion, comme suggéré dans les textes de vos nouvelles chansons ?
Les scientifiques qui ont longtemps nié l'existence de quelque chose se mordent la queue. Quand on va sur la Lune, quand on cherche Lucie ou que l'on va dans le fond des océans, on voit Dieu. On touche à quelque chose qui nous dépasse profondément. Le doute est installé. La religion, c'est autre chose. Ce n'est pas la même chose que la foi. Je fais bien la distinction entre les deux. Je n'aborde pas la religion dans mes chansons. Je ne me le permettrais pas. C'est une affaire privée ! Je parle d'amour, la sexualité c'est autre chose. La chanson d'amour la plus torride de mon disque, c'est une chanson dans laquelle les deux acteurs ne sont même pas en présence l'un de l'autre. La vie existe, on le sait. C'est acté. La mort, on sait aussi ce que c'est. C'est la fin de la vie. Mais il y en a qui pensent qu'il y a autre chose après la mort. Je connais quelqu'un qui m'a dit un jour : "Je crois en Dieu quand je mange une entrecôte. Après, j'ai un doute". Ça me résume très bien (sourire) ! Mais pour en revenir à votre question, il est vrai que je pose le problème dans ce disque. Et la réponse, je crois qu'on la trouve quand on est seul avec soi-même. C'est là qu'on sent qu'on existe.

La première voix féminine qui m'a totalement envoûté, c'est celle de Catherine Ringer.
En parlant d'amour, parlons de votre duo avec Julie Gayet, "Avec toi". Vos derniers albums contiennent chacun au moins un duo, et qui plus est avec une actrice française. C'est une marque de fabrique "Marc Lavoine" ?
Julie Depardieu ou Valérie Lemercier sont certes des actrices, mais elles sont avant tout des femmes, avec des voix. Les femmes sont des oiseaux qui chantent. La voix a une couleur. Elle peut être rouge, noire, grise, bleue... La première voix féminine qui m'a totalement envoûté, c'est celle de Catherine Ringer. Les voix m'intéressent beaucoup de manière plus générale. Pour cet album, je m'étais fait la promesse de ne pas faire de duo. J'ai tenu le coup, mais la question de cette chanson s'est posée. Je trouvais que le refrain ne s'élevait pas assez.... Il ne partait pas assez dans le ciel pour traduire musicalement le texte. J'avais besoin d'un ange qui m'emmène au ciel. J'ai d'abord cherché des instruments pour le refrain. Mais ça ne fonctionnait pas. Il ne me restait que l'alternative de demander à une voix féminine d'interpréter cet ange de la chanson. Ça c'est fait comme ça. Je ne me suis finalement pas interdit de le faire, au risque de passer pour le chanteur des duos. Sinon, la chanson ne serait pas sur l'album ! Je trouvais dommage de la laisser partir.



Vos collaborations ne se limitent pas seulement à la musique puisque vous menez de front en parallèle de votre carrière de chanteur une carrière d'acteur. Vous étiez récemment à l'affiche du film "Mains armées" et vous commencerez très bientôt le tournage d'une série internationale, "Crossing Lines", avec un casting de stars. C'est une surprise de vous retrouver sur un tel projet !
Je vous rassure, ça l'a été pour moi aussi (rires) ! J'ai cru que c'était une blague. J'ai cru que mon agent se moquait de moi. C'est quand même une série avec Donald Sutherland et William Fichtner, qui sont pour moi des acteurs extraordinaires, et produit par une anglo-canadienne à qui l'on doit notamment "Les Piliers de la Terre". On s'est rencontré, à sa demande. A priori, elle connaissait mon travail, les films dans lesquels j'ai pu tourner. Ça veut dire qu'il y a des gens qui cherchent partout, dans tous les pays... Après, pourquoi c'est tombé sur moi ? Je ne sais pas. Il faudrait lui demander (sourire) ! Dans un premier temps, je n'ai pas su comment répondre. Elle m'a beaucoup intéressé. J'ai beaucoup aimé sa manière de me présenter les choses... Qu'est ce que vous auriez fait à ma place ?

C'est vrai que c'est un projet qui tombe tout juste au moment de la sortie de votre nouvel album et que la tournée approche. Le calendrier est très serré !
J'ai quand même dit oui, après réflexion. Mais je dois avouer que j'étais très inquiet au début. Je vais embrasser totalement ce projet, avec tout ce qui suit. Je vais devoir beaucoup travailler, tous les jours. C'est un projet européen, avec des Italiens, des Anglais, des Espagnols et des Américains aussi. Dans cette série, nous serons tous flics, nous travaillerons en communauté dans une Europe où les frontières sont poreuses. Au programme : trafic de drogues, trafic d'argent, criminalité... C'est très intéressant de travailler sur ce projet-là

J'ai décidé de vivre jusqu'à 100 ans
Le cinéma compte-t-il autant que la musique pour vous ?
L'un nourrit l'autre. La musique et le cinéma s'abreuvent communément. Dans un film comme sur un disque, ce qui prime, c'est l'intérêt général du projet. Il faut savoir travailler pour la réussite de quelque chose de commun, qu'on réalise ensemble. Je n'ai aucune difficulté pour passer de l'un à l'autre. Quand je rentre chez moi pour retrouver ma famille, je suis la même personne. J'enfile simplement un costume à un moment ou un autre selon ce que je dois faire.

Et pensez-vous être le même aujourd'hui ? Y-a-t-il un avant et un après "Je descends du singe" ? Et comment envisagez-vous l'avenir ?
Pour "Je descends du singe", j'ai fait un voyage qui m'a changé. J'ai vécu jusqu'à 50 ans d'une certaine manière. Je ne regrette absolument rien. Globalement, j'ai vécu la vie que j'ai voulu mener. Je pense que j'ai été gentil. J'ai réussi à garder cette gentillesse-là, cette enfance, cet appétit et cette candeur. J'aurais pu mal tourner (sourire) ! Mais là, comme j'ai décidé de vivre jusqu'à 100 ans, je vais envisager les 50 prochaines années différemment. J'ai quatre enfants. J'ai besoin de les préparer à ces 50 prochaines années qui viennent. Il s'est passé quelque chose. Mes habitudes changent, je suis plus en forme qu'avant. J'ai plus d'envies et de désirs. J'ai aussi moins d'anxiété et moins de regrets. Plus qu'avant, je ne veux rien manquer. Je veux prendre le temps d'apprécier les choses. Le temps, c'est maintenant.
Visitez le site internet officiel de Marc Lavoine et sa page Facebook.
Ecoutez et/ou téléchargez l'album "Je descends du singe" de Marc Lavoine sur Pure Charts.

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