mercredi 27 juin 2012 0:00
Scissor Sisters : "Il faut savoir marketer son talent pour survivre"
Après une sortie digitale le mois dernier, le nouvel opus des Scissor Sisters est enfin disponible dans les bacs français, en physique, depuis ce lundi. L'occasion pour Pure Charts de rencontrer Jake Shears et Del Marquis et d'évoquer un opus léger enregistré rapidement, mais aussi l'évolution de la promotion et du marketing de la musique ces dernières années, le fait que cinq artistes soutiennent toute l'industrie du disque et qu'il n'y a pas de honte à écrire un jingle pour une pub, ou encore le mot qui agace le plus Jake Shears et qui lui coupe la b... !
Babydaddy, Jake Shears, Ana Matronic et Del Marquis sont les Scissor Sisters / Crédits photo : Polydor
Propos recueillis par Charles Decant. Pure Charts : Pourquoi avoir appelé l'album "Magic Hour" ? Jake Shears : On a eu beaucoup de mal à trouver un titre à cet album... On a failli l'appeler "Personal Touch" pendant un petit moment mais les gens n'arrêtaient pas de me dire que ça faisait penser à un rasoir pour femmes. Ce qui n'est pas tout à fait faux ! Jake : C'est vrai ! (Rires) On a aussi failli l'appeler "Scissor Sisters 4" mais à la fin, ma mère m'a aidé à trouver le bon titre. Elle était avec moi dans ma maison dans le Tennessee et le label devenait fou. Ils me disaient « Si tu ne trouves pas un titre dans les 48 prochaines heures, il sortira sans nom »... Ca peut être un concept ! Jake : Ca a failli être tout simplement "4". Beyoncé n'a pas le monopole des chiffres romains ! Mais Beyoncé l'a fait juste avant vous...Jake : Ah bon ? Del : Oui son dernier album s'appelle "4"... Jake : Le dernier ? Del : Oui oui. Jake : Mais je suis sûr que plein de gens ont sorti un album qui s'appelle "4"... Ou "3" ! Beyoncé n'a pas le monopole des chiffres romains ! (Rires) Elle n'est pas propriétaire du chiffre "4". Donc oui, finalement on s'est arrêté sur "Magic Hour" parce que... (Longue pause) Del : Parce que c'est indéfinissable ! Jake : (Rires) Oui c'est indéfinissable et aussi parce que ça correspond à cette heure où le soleil se lève. Notre dernier album s'appelait "Night Work" et il était vraiment sombre pour moi, vraiment destiné à la nuit. Alors que celui-ci est beaucoup plus estival et fun. J'étais à Ibiza cet été avec des amis et on a passé une nuit folle, à un moment le soleil n'était pas encore levé mais la nuit était finie et on regardait l'océan... Je leur ai joué "Only the Horses", seul titre qu'on avait écrit à l'époque et c'était un moment très spécial. Quand on a choisi le titre, c'est à ça que j'ai pensé. A ce moment. Le titre a été difficile a trouvé mais l'enregistrement s'est passé sans problème, d'après les interviews que vous avez déjà données... Jake : Oui c'est vrai ! C'est allé très vite, on l'a enregistré avant même que je me rende compte que c'était fini. On a commencé début septembre et mi-novembre, il était écrit. Et la production a été terminée en janvier. On n'a jamais travaillé aussi vite sur un album. C'est un processus très différent de "Night Work", qui, lui, avait été très difficile à enregistrer pour vous... Jake : Une fois qu'on a trouvé Stuart Price et qu'on a commencé à travailler sur "Night Work", ce n'était plus difficile. Mais le problème avant qu'on en arrive là, c'est qu'on était tout seuls. Cette fois-ci, on a rencontré une femme qui s'appelle Amanda Ghost et qui a vraiment tout organisé, notre emploi du temps, elle a trouvé avec qui nous allions collaborer. C'était très important et on n'aurait pas réussi à le faire sans elle. Elle est notre productrice exécutive. Elle a été indispensable et ça n'aurait jamais été aussi vite sans elle. On est un peu seuls sur le créneau des groupes pop Quand vous décrivez l'album dans la presse vous parlez de « future pop ». Qu'est-ce que c'est exactement ? A part ce qu'il y a sur le disque bien sûr... !Jake : (Silence) Del : Qui a parlé de « future pop » ? Jake : C'est moi ! Je trouve que c'est notre album le plus contemporain. "Night Work" avait je trouve un côté new wave, années 80, "Ta-dah" jouait un peu avec l'humour, la jubilation et un côté un peu honky-tonk. Et le premier était un peu années 70, glam-rock. Mais "Magic Hour" est super contemporain, je trouve. Del : Et malgré tout on est un peu tout seuls sur le créneau des groupes pop, peut-être que c'est le son des groupes pop ! Autour de nous, il n'y a pas beaucoup de groupes qui écrivent et jouent ce type de musique... Jake : C'est un peu indéfinissable, ce qu'on fait. Je ne trouve personne, groupe ou artiste, qui arrive à concocter un tel mélange de styles et de sons sur un même album et j'en suis très fier ! Je ne me sens pas du tout limité, on peut faire tout ce qu'on veut et s'en sortir sans problème. Est-ce que vous pensez que c'est plus facile pour les artistes féminines d'être aussi caméléon, d'être créatif et déluré que pour les hommes ? On a parfois l'impression que les femmes peuvent changer de direction sans problème, mais que les hommes sont plus enfermés dans des cases... Jake : C'est intéressant. Je ne m'étais jamais posé la question mais c'est intéressant. L'année prochaine, on fera des hommages à l'année dernière Il faut dire qu'il y a très peu d'artistes masculins qui sont vraiment pop.Jake : J'avoue que ça ne m'avait jamais traversé l'esprit. Mais en même temps, est-ce qu'on est vraiment pop ? Est-ce qu'on a jamais été un groupe purement pop ? Je ne sais pas... Peut-être que c'est un accident ! (Rires) Je me pose souvent la question de savoir si on est arrivés dans la pop par accident. Crédits photo : Polydor Pour en revenir à la « future pop », on a l'impression que la pop d'aujourd'hui est un mélange de tous les genres : on peut y mettre de la dance, de la musique urbaine, des éléments de rock... Est-ce que toutes les barrières entre les genres sont vouées à tomber, selon vous ? Jake : Je pense que tout est tellement fragmenté que ça ne va pas changer, en fait. Del : Le cycle s'accélère sans cesse, donc l'année prochaine on fera des hommages à l'année dernière. En ce moment, on célèbre les années 90 avec des titres dance, ou les groupes travaillent avec des producteurs hip-hop, Gossip, groupe rock, bosse avec Xenomania... U2 travaille avec RedOne ? C'est terrible ! Et U2 travaille avec RedOne...Jake : U2 travaille avec RedOne ?? Vraiment ? Oh mon Dieu ! C'est une idée terrible ! C'est catastrophique ! Il faut raccrocher dans ce cas. On ne sait jamais, ça peut donner quelque chose de bien... ? Jake : Je chantais justement "Vertigo" dans le couloir tout à l'heure... J'adore U2 en plus. Votre précédent album, "Night Work", n'a pas aussi bien fonctionné que les précédents, au moins en termes de ventes de disques. Et les singles n'ont pas autant séduit non plus en radio. Après cet album, aviez-vous le sentiment d'avoir quelque chose à prouver ? Jake : Non, pas vraiment. Je n'avais pas l'impression d'avoir quelque chose à prouver au niveau de la musique. Même si je pouvais, je ne changerais rien à cet album. C'était une recalibration du groupe, c'était nécessaire. Je suis désolé mais si on était revenus à l'époque avec des boas en plumes et en faisant des claquettes, là ça aurait été un désastre. Del : On aurait fait un mélange entre Liza Minnelli et Bette Midler... ! (Rires) Jake : On a fait le disque qu'on voulait faire et qu'on pouvait faire. Quand je regarde en arrière, c'est pour moi la renaissance du groupe. Quand on l'a sorti, je me suis dit « On peut continuer, ça nous donne la possibilité de poursuivre l'aventure ». Vous aviez des doutes, à un moment donné ? Jake : Oui, et l'album a vraiment permis au groupe de redémarrer, ça a donné beaucoup d'énergie au groupe et aux fans. Ca m'a permis de me ressourcer. Après, au niveau des chiffres, est-ce qu'on en a écoulé 1,2 million d'exemplaires ? Non. Mais je ne sais pas qui vend 1,2 million d'albums aujourd'hui... Si "Magic Hour" vend autant que "Night Work", je serais aux anges, parce que les chiffres sont tellement bas... A ce stade, on est juste content si des gens peuvent écouter l'album ! Je ne suis pas sûr que ça ait du sens de sortir des albums Puisqu'on parle des chiffres de ventes, on a l'impression que certains artistes considèrent déjà les albums comme des gadgets promo, un complément bonus des concerts. Madonna a sorti son album récemment et c'est l'impression qu'on a, que "MDNA" est juste un produit d'appel pour la tournée, elle le donne même gratuitement avec des billets de concerts. L'album est-il voué à l'extinction ?Jake : Je ne suis pas sûr que ça devienne exclusivement un outil marketing, mais c'est vrai que je ne suis pas sûr que ça ait du sens de sortir des albums en ce moment. Ce que j'aime avec cet album, c'est qu'on a sorti "Shady Love" en janvier, puis "Horses", et on a dévoilé plusieurs titres petit à petit pour que les gens découvrent notre musique en quelques mois. Je trouve que ça a plus de sens. Un album, c'est un peu un gâchis de chansons. Dans quel sens ? Jake : On devrait sortir "Only the Horses" avec trois autres titres, sortir trois EPs au fil de l'été et on pourrait les ajouter pour former un album. Mais il faudrait vendre des formats plus courts, avec moins de titres. Del : Une fois que l'album physique aura disparu, je pense que le concept d'album, cet objet concret, disparaîtra aussi et un groupe pourra être plus libre et sortir ce qu'il veut quand il veut. On pourra enregistrer une chanson en plein milieu du cycle promo et la sortir en dernier single. Plutôt que de sortir une réédition de l'album avec des inédits ? Del : Oui, voilà. Plutôt que de sortir un single qui figure sur un album sorti six mois plus tôt. Les gens veulent être libérés de tout ça. Maintenant on écoute les gens, les fans, sur ce qu'ils veulent. Un peu comme il y a 20 ans, quand les radios disaient « Je vais jouer ce titre-là, pas celui que tu m'as envoyé » et on se dépêchait d'aller tourner un clip ! Aujourd'hui, on voit ce qui se dit sur Twitter, et on écoute. Jake : Ces derniers temps, je n'écoute plus vraiment d'albums. J'écoute beaucoup de dance et j'achète tout sur Beat Port. Si tu regardes mon iTunes aujourd'hui, ça ne ressemble plus du tout à ce que c'était il y a cinq ans. Et la façon dont j'écoute la musique a aussi beaucoup changé. Mais je pense qu'il a fallu beaucoup trop longtemps à tout le monde pour comprendre ce qui se passait. Et tout le monde est à la bourre. Et vous pensez que quelqu'un sait exactement ce qui se passe ? Jake : Non ! (Rires) Del : Les bons artistes, les nouveaux, sont de plus en plus créatifs avec ce qu'ils proposent. Ce sont eux qui ont les bons concepts, les bonnes idées de fournir du contenu aux gens, qui sont demandeurs. Ils offrent des titres gratuits, ils font des versions acoustiques, des mixtapes... Jake : Mais ce n'est pas possible d'en vivre ! Si les gosses me demandaient des conseils pour réussir je leurs dirais d'abord « Ne monte pas un putain de groupe, surtout pas ! Ne monte jamais un groupe ! » Ce serait mon premier conseil. Et personne ne gagnera jamais d'argent avec tout ça. Del : Il y a quelques machines qui produisent beaucoup d'argent. Et on peut écrire pour ces gens et se faire de l'argent. Jake : Bien sûr, il y a par exemple Sia qui écrit pour d'autres. Ou David Guetta. Mais quelqu'un comme mon ami Spank Rock à Philadelphie, qui a un talent de dingue et fait des albums, je lui demande toujours « Mais comment tu fais pour te faire de l'argent ? ». Tout le monde est dans le même bateau. C'est fou et c'est déprimant. Il faut savoir marketer son talent pour survivre Donc tout le monde est foutu sauf Rihanna et Katy Perry ?Jake : Je pense qu'il y a environ cinq artistes qui soutiennent toute l'industrie du disque, oui. Del : Et quand tu parles à des gens, j'ai un ami qui écrit pour Beyoncé là. Ca devient une industrie. Et il écrit aussi des jingles pub ! Il n'y a pas de honte à ça. Jake : Vendre son âme, ça n'existe pas. Del : Ca paie le loyer ! On peut écrire des jingles pour des pubs de portables. Il faut savoir marketer son talent pour survivre. Le concept de faire le tour des Etats-Unis dans un van et de chanter ? C'est fini, ça. Il y a quelques semaines, Keane critiquait justement l'état de l'industrie et ce qui est désormais proposé aux gens, qui n'est plus de grande qualité, et regrettait que tous les bons groupes aient disparu... Del : C'est n'importe quoi. Jake : Ce n'est pas vrai ! C'est de la merde de dire ça. Il y a énormément de bonne musique. Après, il est vrai qu'il n'y a plus beaucoup de groupes, mais ça reviendra peut-être. Je n'ai aucun problème à ce qu'on me qualifie de tafiole Dans certaines interviews, Jake, tu dis que tu en as marre quand on vous qualifie de "kitsch" et Ana Matronic se plaint qu'on vous traite encore comme un phénomène de mode. Après dix ans, vous en avez assez de n'être pas être pris au sérieux ?Jake : Je pense qu'on nous prend au sérieux ! Del : Je crois qu'on a dû poser ces questions spécifiquement lors d'interviews, ce n'est pas quelque chose qui nous pèse. Jake : Les gens me qualifieront de kitsch jusqu'au jour où je crèverai, c'est comme ça. Il faut juste que je m'y fasse. Mais clairement, on n'est pas un phénomène de mode. C'est ça qui me saoule avec le mot "kitsch" c'est que ça sous-entend le côté phénomène de mode, truc nouveau qui marche parce que c'est différent. C'est le mot le plus merdique et paresseux au monde et j'aimerais qu'il n'ait jamais été inventé. Et je n'ai aucun problème à ce qu'on me qualifie de tafiole parce que j'en suis une énorme. Mais kitsch, ça te fait rentrer dans un côté inoffensif. Ca te coupe un peu la bite. Et j'en ai une. Et je compte bien l'utiliser ! (Rires) On lit encore souvent que si c'est pop, c'est nul. Ca vous agace ? Del : Je ne pense pas que les gens croient encore à ces conneries... J'entends énormément de merde à la radio On le lit encore sur Internet en tout cas...Jake : Il ne faut pas lire Internet ! Ne lis pas les commentaires ! Del : Ne lis jamais les commentaires. Jamais ! Jake : Je pense qu'il y a de la merde partout, j'entends énormément de merde à la radio, et je me dis « Mais putain tu te fous de ma gueule ? » Quand j'entends (il chante le nouveau Madonna) "Turn up the radioooo"... Ca ne veut rien dire, c'est vide. Mais tu as des gens comme Robyn, qui peut insuffler de vrais sentiments dans une chanson pop à laquelle les gens peuvent s'identifier. Il peut y avoir cette profondeur, il y a les deux côtés, il y a de la merde sans rien derrière. Mais je pense qu'on peut faire de la pop et faire passer un message. Et si nous, les Scissor Sisters, on est pop, je pense qu'on peut dire qu'il y a un sens dans ce qu'on dit, ce qu'on chante. Et j'en suis fier. Ou on peut dire que ça a un sens de l'humour. Ou que ça se moque de quelque chose. Je ne dis pas qu'on a écrit que des trucs formidables, mais les bons trucs qu'on a faits avaient un sens.
Pour en savoir plus, visitez scissorsisters.com, ou son MySpace officiel.
Ecoutez et/ou téléchargez le nouvel album de Scissor Sisters, "Magic Hour". Podcast
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