Da SilvaVariete Francaise » Variété française
dimanche 15 janvier 2012 10:00
Da Silva en interview
Da Silva publie en ce début d'année son quatrième album intitulé "La distance". Plus qu'une simple interview, cette entrevue avec le chanteur est une vraie rencontre qui débouche sur une discussion sur le contexte politique et social dans lequel l'Homme évolue au vingt-et-unième siècle. L'artiste n'a pas sa langue dans sa poche. Aussi à l'aise lorsqu'il s'agit de parler de son intimité que lorsqu'il s'agit de prendre la plume, Da Silva livre une part de ses peurs et rappelle ce qu'est le métier d'artiste.
Crédits photo : Richard Dumas
Tu as quitté le label Tot ou Tard avec lequel tu as travaillé pour tes trois premiers albums et tu rejoins léquipe de Pias. Peut-on savoir pourquoi ? (Jonathan Hamard, Journaliste) Tot ou Tard, cest un label que je dois remercier parce ce sont les premiers qui ont cru en moi et avec qui jai pu signer. Je suis toujours très ami avec tout le monde. Je leur devais encore un album mais je suis parti. Ce qui sest passé, cest quau bout dun moment, il y a beaucoup daffect avec les personnes. Ce nest pas comme une Major. Cest un label particulier Tot Ou Tard. Un chef de projet est un ami. Les attachés de presse, on noue des relations damitié. Les personnes au juridique, je les adore. Il y avait tellement daffect quon était comme un couple. Le moindre truc qui ne collait pas prenait des proportions énormes. On a fini par se fâcher. Il y a des choses qui ont été dites que je nai pas supportées. Donc je suis parti. Mais je lai fait sur un coup de tête. Je lai décidé comme ça. Jai envoyé une lettre en disant que tout était fini. Un changement déquipe qui accompagne une évolution majeure dans ta carrière. Ton nouvel album La distance se distingue clairement de ce que tu as pu proposer auparavant. Dun point de vue musical notamment. Quel a été le moteur de cette nouvelle orientation musicale ? Ecoute, je vais être sincère avec toi. Jai fait un premier album avec "Lindécision", qui a marché super fort. Jai enchaîné avec une tournée qui a fait 180 dates. Et puis il y a eu les Victoires de la Musique. Jai composé dans la foulée pour enregistrer un deuxième album. Je suis parti pour une tournée de 120 dates. Jai enchainé sur un troisième album avec encore une fois une tournée de plus de 100 dates. On a joué partout : en Biélorussie, en Afrique A un moment donné, je ne me suis même pas posé la question de savoir comment je composais. C'est-à-dire que pendant ma deuxième tournée, je me posais pour écrire des chansons comme ça pour mon troisième album. On donnait la direction des orchestrations et on enregistrait aussi tôt. Et je crois que je me suis perdu dans toute cette masse de travail. Je me suis un peu dissout. Je nétais plus content de moi. Je ne vais pas dire que lalbum nest pas bien. Il était bon. Il y a des chansons que jaime et que je jouerais encore sur scène. Cest juste que je narrivais plus à me rassembler. Jétais dans un drôle détat. Je voulais quelque chose de précieux. Besoin de prendre du temps, de "La distance"... Cest à ce moment-là que jai dit « pause » et je me suis mis en danger. Jai quitté mon label. Et tu sais que cest une drôle didée de quitter un label en 2010. Je pense que tes au courant de la situation de lindustrie du disque. Javais un label qui croyait en moi, qui investissait sur moi. Dire : « Salut, je me tire », cest un drôle de truc dans ta vie. En me mettant en danger, ça ma redonné lenvie de chercher. Et cest ce qui a donné ce nouveau son. Jai cherché une nouvelle matière, de nouveaux rythmes, une nouvelle orientation. Sans règles : en me foutant de savoir si cétait triste, joyeux, radiophonique ou quoi quest-ce Je men foutais. Ce que je voulais, cétait bien écrire, de façon précise, que les orchestrations soient belles. Je voulais quelque chose de précieux. Je voulais créer quelque chose qui compte à lheure où lindustrie du disque a complètement abusé, où elle a vendu des tas de compiles marketing. Elle sest prise plein de frics sur des choses qui navaient pas de sens, en accumulant sortie sur sortie. Je ne voulais pas de çà. Jai voulu tout arrêter pour me dire j'allais faire quelque chose de beau. Et tant pis si je ne retrouve pas de maison de disques. Jai fait quelque chose qui me plait, qui me ressemble et en quoi je crois. Javais envie dun truc sincère. Ça ma valu un an dangoisse chez moi à me demander ce que jallais faire. Un an à me demander si ce que javais écrit cétait bien. Pour la première fois, jai réécrit des textes, jai revu des mélodies, je suis revenu sur des morceaux Jusquà la dernière minute. Je veux donner une nouvelle voix à la musique. Cet album en main, te sens-tu moins en danger quil y a un an, maintenant quil est temps de le partager avec le public ?Non. Jai fait tapis mec ! Jai été à la table de jeu et jai dit tapis. Je me couche. Terminé. Je veux chercher. Je veux donner une nouvelle voix à la musique. Je veux redonner un sens aux mots. Je ne veux pas que ce soit juste radiophonique. Je nai pas envie que mes chansons passent comme çà à la radio de manière inaperçue. Je ne veux plus ! Et pourtant, il y a quand même quelques titres radiophoniques sur cet album. Plus même que dautres appartenant au passé. Peut-être. Mais ce nest pas voulu. Peut-être que jai ce sens de la mélodie, je ne sais pas. Je ne sais rien. Jai beaucoup de doutes tu sais. Ce nest pas confortable comme situation. Ce que jai fait, jen suis fier. Je le dois à toute une équipe de musiciens. Je lai fait grâce à ces gens-là. Ce nest pas une autre direction, cest juste la suite. Je me suis dit que le texte ne suffisait pas. Il y a, cest vrai, le texte. Mais il y a la musique. Et jai donné une part belle à la musique. Avec un travail sur les matières. Et cest exactement linverse de ce qui se fait en ce moment. Cest terrible, à lheure de la crise, on te demande denregistrer des disques Tout le monde entre en studio et te dit : « Ouais, jai fait un album super spontané en trois jours ». Moi je suis allé dans un très beau studio résidentiel où Camille et Feist notamment ont enregistré des disques. On est allé là-bas. On sest posé dix jours. On est allé dans une première cabine de mix pour ajouter des synthés. Et puis on est allé dans une autre cabine de mix pour refaire un travail sur les morceaux. On a bien pris notre temps. Tu vois, quand tu commences la musique et que tu as douze ans, tu as des putains de rêves de gosses. Tu tenfermes dans la salle de bains pour chanter Elvis Presley en faisant couler leau dans la baignoire pour ne pas que ta mère tentende. Tas des putains de rêves et tu te regardes dans la glace en te disant que tu seras Elvis. Tu vois ce que je veux dire ? Oui, enfin (rires) Et bien quand tu as enterré tous ces rêves de gosse, il te reste quand même cette envie de faire un album qui te plaise vraiment. Un disque sur lequel tu nas rien à dire. Un disque sur lequel on pourra dire ce quon veut, mais tu ten moques parce ce que tu laimes. Cet album-là je lai fait. La musique et le cinéma sont les deux arts que lon a sacrifiés sur lautel du peuple. Je suis tout à fait daccord avec toi et reconnais la noblesse de ta démarche, mais il y a des artistes qui nont comme moyen dexister que denregistrer des albums à la chaine, sinon la maison de disques nen veut plus. Tu as la chance de têtre fait un nom, mais ce nest pas le cas de tous.Le problème, cest quon a tout confondu. La musique et le cinéma sont les deux arts que lon a sacrifiés sur lautel du peuple. Tu ne peux pas emmener nimporte qui voir une exposition dart contemporain ou de danse contemporaine sans quil soit capable de dire si lauteur a pondu la dernière des croutes. La musique, tout le monde peut aborder ça la bouche ouverte. Cest populaire. Mais en étant populaire, la musique est devenue marchande. Doit-on succomber à ça ? Et bien moi jai décidé que non. Jai décidé que je ne rentrerai plus là-dedans. Ce nest plus à la chaine. Quand on me demande décrire un texte pour quelquun, je le comprends comme un compliment. Si on me demande de travailler sur un brief avec des cadres, soit je me plis à lexercice de style parce que je trouve la personne chouette, soit je dis non. Auparavant, je nai pas arrêté de dire oui à tout parce que javais peur dêtre seul. Il fallait que jai quelque chose dans les mains. Cétait personnel. Je ne sais pas pourquoi, il fallait que je comble un vide. Il fallait que je travaille. Je ne suis pas un mec qui vis dans un confort. Je vis pour la musique. Si tout ce que jai fait était à refaire, je le referais. Si demain je ne peux plus vivre dans la musique, tant pis. Je suis aujourdhui dans un label indé, mais jétais à mes débuts dans des labels associatifs. A tentendre, jai bien limpression que tu expliques que tu ne pourras jamais travailler avec un label comme Polydor ou Columbia. Non, ce nest pas ce que je dis. Ce que je veux dire, cest quaujourdhui, je ne ferai plus de la musique pour dire : « Je fais de la musique. ». Cest con ce que je vais dire. Jai même honte : je suis fier de moi. Je suis fier de tout ce qui sest passé. Tu parlais des artistes pour lesquels tu as écrit sans te poser des questions, et dautres pour lesquels tu as écrit parce que tu les as perçus, et là je te cite, comme des « chouettes personnes ». Claire Denamur et Hélène Segara en font-elles partie ? Ce sont deux personnalités totalement différentes. Hélène Segara, cest une femme qui a été très populaire. Cest son assistante qui écoutait ma musique. Elle postait sur son Facebook des morceaux de ma musique. Hélène les trouvait pas mal. Quand je lai rencontré, cétait chez elle. Si je lui ai écrit des textes, ce nest pas parce quartistiquement jaimais ce quelle faisait, cest parce que la femme est dingue. Elle est vraiment sympa. Elle ne joue pas un rôle dartiste sympa. Tu peux dire ce que tu veux sur elle. Tu peux te foutre delle, dire quelle gueule parce que cest une chanteuse à voix et quelle na plus rien à faire là. Vous pouvez dire toutes les saloperies que vous voulez sur elle, moi je men fous. Je sais que dans la vie cest une belle personne. Je ne valide pas tous les textes que jai écrits pour elle. Ça ne me correspond pas du tout. Je suis rentré dans son délire et jai mis en forme toutes ses idées. Et ce nest pas quelquun dintéressé. Elle est du genre à te proposer de rester diner. Elle te présente à toute sa famille. Et si tu lui dis que tu ne veux pas travailler avec elle, elle tinvitera quand même à boire un verre. Jai passé du bon temps avec elle. Il y a des ratés, tu ne peux pas tout réussir. Quant à Claire, on a travaillé ensemble parce que jai rencontré son directeur artistique alors que jétais en quête dun label. Il ma parlé de son projet en me demandant de lui faire un texte alors quelle sapprêtait à entrer en studio denregistrement. Jai donc écrit un texte qui lui a tout de suite plu. Enfin, il nest pas sur son album Elle ma contacté et ma demandé de débarquer chez moi pour quon travaille ensemble. Elle est arrivée, jai réécrit pas mal de choses qui étaient peut-être un peu maladroites. Cest aussi une belle personne. J'ai 36 ans. Je suis affranchi. On ne va pas me la faire à l'envers. On ne va pas me faire croire qu'Hélène Segara c'est plus ou moins hype que Tout ça c'est du marketing. C'est du bidon. Moi ce qui m'intéresse, c'est la personne que j'ai en face de moi. Je ne ferai jamais un texte pour Michel Sardou. Je pense que ce mec-là est insupportable. Je te le dis aujourd'hui, [...] même s'il vend un million d'albums et qu'il venait me voir, je lui dirais d'aller se faire voir ailleurs. Tu vois, ça me fait penser à "Dracula" [NDLR : "Dracula,lamour plus fort que la mort."]. Le brief, à la base, était super quand on me la présenté. C'est devenu un espèce de truc ultra nul. Moi j'ai donné un texte, ils me l'ont modifié. Il est nul. Je m'en fous. Il y a des ratés, tu ne peux pas tout réussir. Tu parlais de crise du disque. "La crise", cest aussi lun des titres de ton nouvel album. On ne peut pas sempêcher de mettre en lien avec ce mot, ce concept de crise économique dont tous ou presque parlent régulièrement. Tu le mets toi en comparaison avec lamour. "La crise", on peut lappliquer à tout. La généralité, cest que, en tant de crise, il y a toujours un con pour sortir du lot et dire aux autres ce quils ont à faire pour les rendre plus faibles. Et ça aggrave la crise. Celui-là remet les compétences de tout le monde à zéro et prends les rennes en expliquant que ça va marcher. Et comme il a une aura plus grande que les autres, tout le monde le suit. Et on court à la catastrophe. Ce que je veux dire avec La crise, cest quon nest pas responsable de tout ce qui arrive aujourdhui. Une crise narrive pas du jour au lendemain. Il faut la mettre en rapport avec tout ce qui sest passé les quinze dernières années. Tu ne peux pas être coupable de tout, même si on peut te dire responsable. Alors quelquun qui débarque en te disant « il faut faire çà, çà et çà » en te demandant plus et en te donnant moins, ça me fatigue cette attitude-là qui est permanente. Alors jai écrit une chanson dans laquelle jexplique : « On vous a compris avec vos beaux discours. On sen fou. On reste à lhorizontal. On vit avec les plaisirs de la vie : le sexe, un verre ». Faut arrêter de penser quil ny a que par le travail et leffort quon sen sortira. On ne peut pas continuer dappauvrir les gens et en plus leur dire : « En plus dêtre pauvre, en plus de galérer, en plus de n'être rien : on va vous dire ce quil faut que vous fassiez. ». Etre père pour la première fois, cest merveilleux. Le con que tu décris, aujourdhui cest qui daprès toi ? Il y en a tellement que je narrive même plus à les trouver ! Cest terrible. Enfin, je voudrais terminer en te demandant quelle a été la première fois qui ta le plus marqué. Il y a une chanson sur lalbum "La distance" qui sintitule "Les premiers", dans laquelle tu passes en revue toutes les premières fois qui font la vie dun homme. La première fois quon ma dit : « Je tai trouvé un concert ». Mais ça cest dans le travail. Intiment cest ma fille. Etre père pour la première fois, cest merveilleux. Ça renverse ta vie, tu nes plus jamais le même. Merci pour ta franchise. Merci à toi.
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