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Da Silva en interview

Da Silva publie en ce début d'année son quatrième album intitulé "La distance". Plus qu'une simple interview, cette entrevue avec le chanteur est une vraie rencontre qui débouche sur une discussion sur le contexte politique et social dans lequel l'Homme évolue au vingt-et-unième siècle. L'artiste n'a pas sa langue dans sa poche. Aussi à l'aise lorsqu'il s'agit de parler de son intimité que lorsqu'il s'agit de prendre la plume, Da Silva livre une part de ses peurs et rappelle ce qu'est le métier d'artiste.
Crédits photo : Richard Dumas
Tu as quitté le label Tot ou Tard avec lequel tu as travaillé pour tes trois premiers albums et tu rejoins l’équipe de Pias. Peut-on savoir pourquoi ? (Jonathan Hamard, Journaliste)
Tot ou Tard, c’est un label que je dois remercier parce ce sont les premiers qui ont cru en moi et avec qui j’ai pu signer. Je suis toujours très ami avec tout le monde. Je leur devais encore un album mais je suis parti. Ce qui s’est passé, c’est qu’au bout d’un moment, il y a beaucoup d’affect avec les personnes. Ce n’est pas comme une Major. C’est un label particulier Tot Ou Tard. Un chef de projet est un ami. Les attachés de presse, on noue des relations d’amitié. Les personnes au juridique, je les adore. Il y avait tellement d’affect qu’on était comme un couple. Le moindre truc qui ne collait pas prenait des proportions énormes. On a fini par se fâcher. Il y a des choses qui ont été dites que je n’ai pas supportées. Donc je suis parti. Mais je l’ai fait sur un coup de tête. Je l’ai décidé comme ça. J’ai envoyé une lettre en disant que tout était fini.

Un changement d’équipe qui accompagne une évolution majeure dans ta carrière. Ton nouvel album La distance se distingue clairement de ce que tu as pu proposer auparavant. D’un point de vue musical notamment. Quel a été le moteur de cette nouvelle orientation musicale ?
Ecoute, je vais être sincère avec toi. J’ai fait un premier album avec "L’indécision", qui a marché super fort. J’ai enchaîné avec une tournée qui a fait 180 dates. Et puis il y a eu les Victoires de la Musique. J’ai composé dans la foulée pour enregistrer un deuxième album. Je suis parti pour une tournée de 120 dates. J’ai enchainé sur un troisième album avec encore une fois une tournée de plus de 100 dates. On a joué partout : en Biélorussie, en Afrique… A un moment donné, je ne me suis même pas posé la question de savoir comment je composais. C'est-à-dire que pendant ma deuxième tournée, je me posais pour écrire des chansons comme ça pour mon troisième album. On donnait la direction des orchestrations et on enregistrait aussi tôt. Et je crois que je me suis perdu dans toute cette masse de travail. Je me suis un peu dissout. Je n’étais plus content de moi. Je ne vais pas dire que l’album n’est pas bien. Il était bon. Il y a des chansons que j’aime et que je jouerais encore sur scène. C’est juste que je n’arrivais plus à me rassembler. J’étais dans un drôle d’état.
Je voulais quelque chose de précieux.


Besoin de prendre du temps, de "La distance"...
C’est à ce moment-là que j’ai dit « pause » et je me suis mis en danger. J’ai quitté mon label. Et tu sais que c’est une drôle d’idée de quitter un label en 2010. Je pense que t’es au courant de la situation de l’industrie du disque. J’avais un label qui croyait en moi, qui investissait sur moi. Dire : « Salut, je me tire », c’est un drôle de truc dans ta vie. En me mettant en danger, ça m’a redonné l’envie de chercher. Et c’est ce qui a donné ce nouveau son. J’ai cherché une nouvelle matière, de nouveaux rythmes, une nouvelle orientation. Sans règles : en me foutant de savoir si c’était triste, joyeux, radiophonique ou quoi qu’est-ce… Je m’en foutais. Ce que je voulais, c’était bien écrire, de façon précise, que les orchestrations soient belles. Je voulais quelque chose de précieux. Je voulais créer quelque chose qui compte à l’heure où l’industrie du disque a complètement abusé, où elle a vendu des tas de compiles marketing. Elle s’est prise plein de frics sur des choses qui n’avaient pas de sens, en accumulant sortie sur sortie. Je ne voulais pas de çà. J’ai voulu tout arrêter pour me dire j'allais faire quelque chose de beau. Et tant pis si je ne retrouve pas de maison de disques. J’ai fait quelque chose qui me plait, qui me ressemble et en quoi je crois. J’avais envie d’un truc sincère. Ça m’a valu un an d’angoisse chez moi à me demander ce que j’allais faire. Un an à me demander si ce que j’avais écrit c’était bien. Pour la première fois, j’ai réécrit des textes, j’ai revu des mélodies, je suis revenu sur des morceaux… Jusqu’à la dernière minute.

Je veux donner une nouvelle voix à la musique.
Cet album en main, te sens-tu moins en danger qu’il y a un an, maintenant qu’il est temps de le partager avec le public ?
Non. J’ai fait tapis mec ! J’ai été à la table de jeu et j’ai dit tapis. Je me couche. Terminé. Je veux chercher. Je veux donner une nouvelle voix à la musique. Je veux redonner un sens aux mots. Je ne veux pas que ce soit juste radiophonique. Je n’ai pas envie que mes chansons passent comme çà à la radio de manière inaperçue. Je ne veux plus !

Et pourtant, il y a quand même quelques titres radiophoniques sur cet album. Plus même que d’autres appartenant au passé.
Peut-être. Mais ce n’est pas voulu. Peut-être que j’ai ce sens de la mélodie, je ne sais pas. Je ne sais rien. J’ai beaucoup de doutes tu sais. Ce n’est pas confortable comme situation. Ce que j’ai fait, j’en suis fier. Je le dois à toute une équipe de musiciens. Je l’ai fait grâce à ces gens-là. Ce n’est pas une autre direction, c’est juste la suite. Je me suis dit que le texte ne suffisait pas. Il y a, c’est vrai, le texte. Mais il y a la musique. Et j’ai donné une part belle à la musique. Avec un travail sur les matières. Et c’est exactement l’inverse de ce qui se fait en ce moment. C’est terrible, à l’heure de la crise, on te demande d’enregistrer des disques… Tout le monde entre en studio et te dit : « Ouais, j’ai fait un album super spontané en trois jours… ». Moi je suis allé dans un très beau studio résidentiel où Camille et Feist notamment ont enregistré des disques. On est allé là-bas. On s’est posé dix jours. On est allé dans une première cabine de mix pour ajouter des synthés. Et puis on est allé dans une autre cabine de mix pour refaire un travail sur les morceaux. On a bien pris notre temps. Tu vois, quand tu commences la musique et que tu as douze ans, tu as des putains de rêves de gosses. Tu t’enfermes dans la salle de bains pour chanter Elvis Presley en faisant couler l’eau dans la baignoire pour ne pas que ta mère t’entende. T’as des putains de rêves et tu te regardes dans la glace en te disant que tu seras Elvis. Tu vois ce que je veux dire ?

Oui, enfin… (rires)
Et bien quand tu as enterré tous ces rêves de gosse, il te reste quand même cette envie de faire un album qui te plaise vraiment. Un disque sur lequel tu n’as rien à dire. Un disque sur lequel on pourra dire ce qu’on veut, mais tu t’en moques parce ce que tu l’aimes. Cet album-là je l’ai fait.

La musique et le cinéma sont les deux arts que l’on a sacrifiés sur l’autel du peuple.
Je suis tout à fait d’accord avec toi et reconnais la noblesse de ta démarche, mais il y a des artistes qui n’ont comme moyen d’exister que d’enregistrer des albums à la chaine, sinon la maison de disques n’en veut plus. Tu as la chance de t’être fait un nom, mais ce n’est pas le cas de tous.
Le problème, c’est qu’on a tout confondu. La musique et le cinéma sont les deux arts que l’on a sacrifiés sur l’autel du peuple. Tu ne peux pas emmener n’importe qui voir une exposition d’art contemporain ou de danse contemporaine sans qu’il soit capable de dire si l’auteur a pondu la dernière des croutes. La musique, tout le monde peut aborder ça la bouche ouverte. C’est populaire. Mais en étant populaire, la musique est devenue marchande. Doit-on succomber à ça ? Et bien moi j’ai décidé que non. J’ai décidé que je ne rentrerai plus là-dedans. Ce n’est plus à la chaine. Quand on me demande d’écrire un texte pour quelqu’un, je le comprends comme un compliment. Si on me demande de travailler sur un brief avec des cadres, soit je me plis à l’exercice de style parce que je trouve la personne chouette, soit je dis non. Auparavant, je n’ai pas arrêté de dire oui à tout parce que j’avais peur d’être seul. Il fallait que j’ai quelque chose dans les mains. C’était personnel. Je ne sais pas pourquoi, il fallait que je comble un vide. Il fallait que je travaille. Je ne suis pas un mec qui vis dans un confort. Je vis pour la musique. Si tout ce que j’ai fait était à refaire, je le referais. Si demain je ne peux plus vivre dans la musique, tant pis. Je suis aujourd’hui dans un label indé, mais j’étais à mes débuts dans des labels associatifs.

A t’entendre, j’ai bien l’impression que tu expliques que tu ne pourras jamais travailler avec un label comme Polydor ou Columbia.
Non, ce n’est pas ce que je dis. Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui, je ne ferai plus de la musique pour dire : « Je fais de la musique. ». C’est con ce que je vais dire. J’ai même honte : je suis fier de moi. Je suis fier de tout ce qui s’est passé.



Tu parlais des artistes pour lesquels tu as écrit sans te poser des questions, et d’autres pour lesquels tu as écrit parce que tu les as perçus, et là je te cite, comme des « chouettes personnes ». Claire Denamur et Hélène Segara en font-elles partie ?
Ce sont deux personnalités totalement différentes. Hélène Segara, c’est une femme qui a été très populaire. C’est son assistante qui écoutait ma musique. Elle postait sur son Facebook des morceaux de ma musique. Hélène les trouvait pas mal. Quand je l’ai rencontré, c’était chez elle. Si je lui ai écrit des textes, ce n’est pas parce qu’artistiquement j’aimais ce qu’elle faisait, c’est parce que la femme est dingue. Elle est vraiment sympa. Elle ne joue pas un rôle d’artiste sympa. Tu peux dire ce que tu veux sur elle. Tu peux te foutre d’elle, dire qu’elle gueule parce que c’est une chanteuse à voix et qu’elle n’a plus rien à faire là. Vous pouvez dire toutes les saloperies que vous voulez sur elle, moi je m’en fous. Je sais que dans la vie c’est une belle personne. Je ne valide pas tous les textes que j’ai écrits pour elle. Ça ne me correspond pas du tout. Je suis rentré dans son délire et j’ai mis en forme toutes ses idées. Et ce n’est pas quelqu’un d’intéressé. Elle est du genre à te proposer de rester diner. Elle te présente à toute sa famille. Et si tu lui dis que tu ne veux pas travailler avec elle, elle t’invitera quand même à boire un verre. J’ai passé du bon temps avec elle.
Il y a des ratés, tu ne peux pas tout réussir.


Quant à Claire, on a travaillé ensemble parce que j’ai rencontré son directeur artistique alors que j’étais en quête d’un label. Il m’a parlé de son projet en me demandant de lui faire un texte alors qu’elle s’apprêtait à entrer en studio d’enregistrement. J’ai donc écrit un texte qui lui a tout de suite plu. Enfin, il n’est pas sur son album… Elle m’a contacté et m’a demandé de débarquer chez moi pour qu’on travaille ensemble. Elle est arrivée, j’ai réécrit pas mal de choses qui étaient peut-être un peu maladroites. C’est aussi une belle personne. J'ai 36 ans. Je suis affranchi. On ne va pas me la faire à l'envers. On ne va pas me faire croire qu'Hélène Segara c'est plus ou moins hype que… Tout ça c'est du marketing. C'est du bidon. Moi ce qui m'intéresse, c'est la personne que j'ai en face de moi. Je ne ferai jamais un texte pour Michel Sardou. Je pense que ce mec-là est insupportable. Je te le dis aujourd'hui, [...] même s'il vend un million d'albums et qu'il venait me voir, je lui dirais d'aller se faire voir ailleurs. Tu vois, ça me fait penser à "Dracula" [NDLR : "Dracula,l’amour plus fort que la mort."]. Le brief, à la base, était super quand on me l’a présenté. C'est devenu un espèce de truc ultra nul. Moi j'ai donné un texte, ils me l'ont modifié. Il est nul. Je m'en fous. Il y a des ratés, tu ne peux pas tout réussir.



Tu parlais de crise du disque. "La crise", c’est aussi l’un des titres de ton nouvel album. On ne peut pas s’empêcher de mettre en lien avec ce mot, ce concept de crise économique dont tous ou presque parlent régulièrement. Tu le mets toi en comparaison avec l’amour.
"La crise", on peut l’appliquer à tout. La généralité, c’est que, en tant de crise, il y a toujours un con pour sortir du lot et dire aux autres ce qu’ils ont à faire pour les rendre plus faibles. Et ça aggrave la crise. Celui-là remet les compétences de tout le monde à zéro et prends les rennes en expliquant que ça va marcher. Et comme il a une aura plus grande que les autres, tout le monde le suit. Et on court à la catastrophe. Ce que je veux dire avec La crise, c’est qu’on n’est pas responsable de tout ce qui arrive aujourd’hui. Une crise n’arrive pas du jour au lendemain. Il faut la mettre en rapport avec tout ce qui s’est passé les quinze dernières années. Tu ne peux pas être coupable de tout, même si on peut te dire responsable. Alors quelqu’un qui débarque en te disant « il faut faire çà, çà et çà » en te demandant plus et en te donnant moins, ça me fatigue cette attitude-là qui est permanente. Alors j’ai écrit une chanson dans laquelle j’explique : « On vous a compris avec vos beaux discours. On s’en fou. On reste à l’horizontal. On vit avec les plaisirs de la vie : le sexe, un verre…». Faut arrêter de penser qu’il n’y a que par le travail et l’effort qu’on s’en sortira. On ne peut pas continuer d’appauvrir les gens et en plus leur dire : « En plus d’être pauvre, en plus de galérer, en plus de n'être rien : on va vous dire ce qu’il faut que vous fassiez. ».
Etre père pour la première fois, c’est merveilleux.


Le con que tu décris, aujourd’hui c’est qui d’après toi ?
Il y en a tellement que je n’arrive même plus à les trouver ! C’est terrible.

Enfin, je voudrais terminer en te demandant qu’elle a été la première fois qui t’a le plus marqué. Il y a une chanson sur l’album "La distance" qui s’intitule "Les premiers", dans laquelle tu passes en revue toutes les premières fois qui font la vie d’un homme.
La première fois qu’on ma dit : « Je t’ai trouvé un concert ». Mais ça c’est dans le travail. Intiment c’est ma fille. Etre père pour la première fois, c’est merveilleux. Ça renverse ta vie, tu n’es plus jamais le même.

Merci pour ta franchise.
Merci à toi.
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Regardez le clip "Les stations balnéaires" de Da Silva :

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