Helena NoguerraVariete Francaise » Variété française
samedi 31 août 2013 17:19
Helena Noguerra : "Cest la première fois que jarrête de mexcuser dexister"
Par
Jonathan HAMARD
| Rédacteur
Écrivaine, actrice et musicienne, Helena Noguerra est une artiste multi-tâche qui n'entend pas entrer dans les cadres trop formatés de la création. De retour cette semaine avec l'album "Année zéro", nouveau départ en forme de crise de la quarantaine, la chanteuse de 44 ans ne s'est pas apaisée, loin de là. En partie déchargée de son rôle de mère, avec l'assurance de ne plus être systématiquement comparée à sa sur ou à écrire dans l'ombre de son ancien mari, Helena Noguerra chante treize états amoureux et appelle à l'insoumission. Rencontre avec une artiste qui tente sans prétention de redonner un sens au mot « tenter ».
Crédits photo : DR.
Propos recueillis par Jonathan Hamard Beaucoup vous connaissent sans doute davantage comme actrice plutôt que chanteuse. Il faut dire que votre dernier album de chansons originales est sorti il y a plusieurs années maintenant. Vous avez besoin de laisser filer le temps ou est-ce tout simplement la faute à des activités multiples et diversifiées ? Je dirais vraiment que cest circonstanciel. Cest comme ça. Jai fait beaucoup dautres choses, notamment dans le cinéma Je pense que javais aussi besoin de vacances. Cest inexplicable. Je nai rien médité. Je ne me suis pas interdit de faire de disque pendant cinq ans. Cest venu petit à petit à maturité. Il ny a pas eu de véritable élément déclencheur, comme une prise de conscience quil fallait refaire un album, puisque dans mon cas jai toujours écrit et je continue toujours décrire des chansons à la maison. Javais décidé de faire mes adieux au music-hall après mon album "Fraise vanille". Je ne voulais plus forcément faire du disque commercial. Et cest la rencontre avec Nicole Schluss, mon manager désormais, sur le projet avec André Manoukian, qui a fait naître cette envie d'aller chercher dans mes trente chansons faites maison pour faire un album. Mais je nai jamais vraiment arrêté la musique. Il y a eu ce projet avec André Manoukian Je suis aussi partie en tournée pendant un an avec Nouvelle Vague Je faisais de la musique. Après, je suis daccord de dire quil y a longtemps que je navais pas sorti dalbum sous mon nom (sourire) Je tends à être libre et cet album en est une tentative Effectivement ! Là, cest différent. Vous êtes en première ligne. Vous allez être jugée pour votre travail. Dailleurs, le titre "Année zéro" peut vouloir dire beaucoup de choses. Est-ce un nouveau départ ou alors le témoignage dune mauvaise passe ?En fait, je ne me suis pas posé la question (sourire). Je crois tout simplement que jai appelé cet album comme ça parce que cest le nom que javais donné à la série de chansons sur laquelle je travaillais depuis longtemps, avant même de penser à faire un disque. Parce que javais limpression de repartir à zéro. Sans doute que dautres appelleront ça la crise de la quarantaine ou le syndrome de lenfant qui sen va. Mais effectivement, il y a une nouvelle vie depuis un petit moment. Comme une vie dadolescente attardée. Jai élevé un enfant. Et cette phase de ma vie sest terminée. Maintenant, je me retrouve face à moi-même. Ce quon n'a pas vécu à vingt ans on veut le vivre maintenant. Cest comme une autre vie ! Mais je ne nie pas du tout le fait de vieillir et je nessaie pas de lempêcher. Je ne suis pas dans cette démarche-là. Je peux ne plus faire les courses quand mon frigo est vide. Je peux sortir tard le soir et même boire toute la nuit ! (Rires) Je me sens très libre. Cette « crise de la quarantaine » est-elle salvatrice ? Vous y prenez goût ? Je la vis comme une crise de la quarantaine. C'est à dire que je ressens cette mélancolie qui va avec. Mais il y a quand même quelque chose de joyeux parce que jai limpression que tout est possible encore. Vous dîtes que trente chansons ont été écrites sur plusieurs années. Même si on en retrouve seulement treize sur "Année zéro", sont-elles véritablement toutes représentatives de votre état desprit actuel ? Ou alors, les treize chansons de cet album ont-elles été sélectionnées parce quil sagissait de tel ou tel auteur à leurs crédits ? Je ne sais pas comment ça se choisit. Cest difficile dy répondre ! Cest un peu comme les affinités, des amitiés ou des amours. Elles se choisissent parce quelles simbriquent bien les unes avec les autres Ou parce quil y a plus de tendresse avec une plutôt que lautre. Il y en a qui ont été laissées de côté et qui me font de la peine parce quelles ne sont pas sur ce disque. Je prétends simplement vouloir vivre avant de mourir Vous pensez quelles sortiront un jour ?Jaimerais bien. Peut-être pas sur un disque mais au moins sur internet. Je pourrais très bien les proposer sur iTunes sous forme de maquettes. Peut-être auront-elles un jour une vie Alors, on va dire que les chansons de lalbum "Année zéro" sont « les préférées » (Sourire). Cest difficile de se couper de tout ce quon a fait. Après, savoir si elles sont représentatives dun état actuel ou pas, je ne sais pas. Mais ce sont en tout cas treize états. Treize états amoureux je dirais même. Amour heureux, déchirement La Helena Noguerra de cette "Année zéro" est difficile à suivre... Je vois surtout dans cet album une facette de ma personnalité qui est une tentative de liberté. Cest-à-dire, de ne pas se définir, de ne pas rentrer dans un moule, de ne pas faire un album dans un style précis. Je voulais me permettre daller dans tous les sens. Alors, évidemment, cest aussi sexposer à la critique. On va dire de moi : « Elle ne sait pas choisir », « On ne sait pas qui elle est », « Cest trop éclaté », « Elle veut tout faire mais elle ne sait rien faire ». Parce que jécris des livres, je fais du cinéma, jécris des pièces Parce que je chante du rock mais de la pop Moi je tends à être libre et cet album en est une tentative. Cette critique, cest quelque chose qui vous irrite parfois ? Non. Parce que je ne veux pas mencombrer de ça. Moi, je fais un autre travail, plus personnel. Je suis ailleurs. Je comprends que cest difficile davoir un libre arbitre et que ce nest pas facile de comprendre ce qui nest pas formaté. Je comprends aussi que ce nest pas facile de ne pas être rassuré par un format conforme. Moi-même, je suis subordonnée à ce genre de diktat. Jessaie den échapper. Je nen veux à personne de ne pas me suivre. Ce duo avec Lio, cest une récon- ciliation Pensez-vous quon ne prend pas assez de risques en musique ?Nulle part ! Cest très difficile la prise de risques. On est très écrasé par le poids de la culture, du folklore, de la fiction Nancy Huston a fait un très bon livre qui sappelle "Lespèce fabulatrice". Elle y dit que tout est une fiction dans la culture, que ce sont des codes que lon travaille. Cest très difficile de sen détacher. Jessaie. Mais je dois être grotesque dans cette prétention-là. Est-ce que cette manière de penser la culture comme une fiction, ne tient pas du fait que vous évoluez dans différents domaines ? Je ne sais pas. Mais, comme ça, à brûle-pourpoint, je dirais que cest le contraire. Si jétais subordonnée aux codes, je noserais pas prétendre à écrire de la littérature. On vous explique assez bien que nest pas Maupassant qui veut. Moi, je n'en ai rien à faire ! Je fais quand même. Il y a des fous qui sont prêts à me suivre. Et peu ! Mais ce nest pas grave. Je prétends simplement vouloir vivre avant de mourir. Quand on a peur dessayer des choses, on se subordonne. Et la peur est très puissante. Je pense dailleurs quil ny a rien de plus puissant que la peur. Il faut essayer de la dépasser. Regardez le nouveau clip "The End of the Story" d'Héléna Noguerra : Parmi les artistes qui bravent cette peur, qui sortent des sentiers battus, il y a Philippe Katerine. Doit-on croire que cest surprenant quil ait travaillé sur cet album ? Cest moi qui lai contacté au départ. Cest une rencontre fondatrice pour lun comme pour lautre. Jose le dire. Il menverra une lettre sil nest pas daccord ! (Rire) Dans une ambiance différente, on retrouve sur cet album une autre artiste qui sort des sentiers battus : Lio. Pourquoi linviter sur cet album ? Pourquoi maintenant et pas avant ? Jai longtemps souffert dêtre « la sur de Lio ». Je pense que jarrive à un âge où on ne m'associe plus nécessairement à elle. J'en suis heureuse. Ce duo, cest en quelque sorte une réconciliation. Pas entre nous ! Parce que nous nous sommes toujours très bien entendues. Mais face au monde. La faire venir chanter avec moi, cest aussi dire que je me suis apaisée de tous ces problèmes qui ne mappartiennent pas mais que je suis pris en pleine gueule. Elle a été quand même un modèle pour moi. Quand elle a fait "Banana Split", jétais enfant. Pour moi, à lépoque, cétait quelquun qui tentait des choses. Parmi les autres noms qui mont interpellé aux crédits, il y a celui de Sylvia Plath. Pourquoi aller chercher aussi loin ? Cest le hasard. Ça na pas été pensé. Dans ma vie, rien nest prémédité. La vie nest jamais comme on croit quelle sera. Donc il vaut mieux faire comme ça vient ! (Sourire) Jai découvert Sylvia Plath. J'ai commencé à lire ce quelle avait écrit. Son parcours mintriguait. Jai beaucoup de tendresse et didentification à des femmes comme elle, comme Camille Claudel aussi. Je veux dire par là : à des femmes qui étaient des créatrices mais qui navaient pas la place nécessaire dans la société pour pouvoir sexprimer. Elles étaient écrasées par un homme à leurs côtés qui faisait la même chose. Alors, est-ce que cest suite à mes années Katerine ? Je ne sais pas (sourire). Mais il y a quelque chose qui fait que je midentifie à ces femmes-là. Jai donc lu un poème de Sylvia Plath et jai pris ma guitare pour essayer de le chanter. Jai trouvé ça joli. A vous écouter, si on devait mettre un mot sur cet album, ce serait « spontanéité ». Tout à fait ! Cest un mode de vie. Ne rien attendre de rien. Prendre ce qui vient et faire avec. Toutes ces chansons, elles sont nées en cinq ans. Plus pour certaines ! "Tom" par exemple. Cest la première chanson que jai écrite dans ma vie. Je navais que dix-huit ans. Sauf que je navais jamais osé chanter mes chansons jusqualors. Cest pour ça que ça sappelle "Année zéro" aussi. Cest la première fois que jarrête de mexcuser dexister. Soyez tous des insoumis ! Parce que vous étiez aussi toujours attendue au tournant.Je lai toujours été. Jai une position assez particulière. Les gens maiment bien. Mais comme ils ne savent jamais vraiment où je vais ni ce que je fais, ils regardent toujours de loin. Avec cet album-là, on ne peut pas croire quil n'y ait quand même pas plus dambitions ? Je nai pas dambitions ! Cest ça le problème. En tout cas, elle nest pas là. Elle nest pas dans une réussite sociale brillante. Elle est ailleurs, dans la relation à lautre, dans quelque chose de lordre de laltérité. Je me sens comme une amazone. Jai lambition de communiquer aux gens ma façon doser faire les choses. Le culot ! Si je fais tout ça, cest peut-être pour encourager les autres à ne pas se soumettre. Soyez tous des insoumis ! Crédits photo : DR. Vous étiez récemment à laffiche du film "La marque des anges", aux côtés de Gérard Depardieu et JoeyStarr. Une première ! Je nai pas vraiment joué avec Gérard Depardieu. Il y a simplement eu une scène physique mais jespère que je le ferais un jour. JoeyStarr est assez marrant. Lui, cest un insoumis ! Dans sa forme, il est du côté de Che Guevara. Cest quelquun qui met des bombes. Jai beaucoup aimé jouer dans ce film parce que jai incarné une femme de mon âge et de caractère. Cétait quelque chose de moins papillonnant. J'ai le sentiment qu'on habitue les gens à ne plus penser Et puis il y aura bientôt "La vie domestique" dIsabelle Czajka
Oui. Cet automne. Film dauteur. Pamphlet féministe. Jadore ! Jai adoré travaillé là-dessus. Cest la constatation que les femmes, encore en 2013, abandonnent beaucoup delles-mêmes pour la vie de famille et la vie de couple. Ce qui est normal aussi ! Cest une réalité. Jy ai été pendant vingt ans et jai été contente de le faire. Entre tout ça, y aura-t-il un peu de temps pour la scène ? Jespère ! (Sourire) On essaie de mettre des choses en place. Cest le but ! Cest le meilleur endroit pour moi. Mieux que devant les caméras ? Je naime pas trop être devant les caméras. Vous savez, il y a ces choses quon fait sans aimer les faire. Cest une sorte damour répulsion. Ce sont des drôles de rapport le cinéma. Pour moi en tout cas. Cest quelque chose de douloureux. Mais ça fait des vacances ! On se déresponsabilise. Comme cest collectif, quand ça ne marche pas, cest la faute de tout le monde. Alors quune salle qui ne se remplit pas ou un disque qui ne marche pas, ça fait vraiment de la peine. Là, on se sent responsable. Et puis les gens vous considèrent moins bien. Je ne veux pas être dans la valeur du « Cest bien parce que ça marche ». Je suis choquée par certaines critiques. Notamment en ce qui concerne le cinéma. Je suis choquée quand je vois au "Grand Journal" : « Nul », « Aberrant », « Génial », « Vieux », « Ridée », « Trois et demi » Elle est où la pensée dans tout ça ? J'ai le sentiment qu'on habitue les gens à ne plus penser ! A lécole, on ne disait pas « Je naime pas ». On disait : « Je naime pas parce que ». Et on élaborait une pensée. On a le droit de ne pas aimer. Mais il faut construire quelque chose autour de ça. C'est un monde de fou qui s'est mis en place !
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