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dimanche 21 mars 2021 12:45
Gaëtan Roussel : "On peut ressentir de la joie en écoutant une musique triste" (INTERVIEW)
Gaëtan Roussel est de retour avec son quatrième album solo "Est-ce que tu sais ?". En interview pour Pure Charts, le chanteur se confie sur les questionnements au coeur de son disque, ses collaborations avec Camélia Jordana et Alain Souchon ou encore le possible retour de Louise Attaque. Confidences !
Crédits photo : Fifou
Propos recueillis par Théau Berthelot. Vous avez plus de 25 ans de carrière, pourtant ce n'est que votre quatrième album solo. C'est plutôt étonnant ! J'ai commencé à faire des albums solos il y a seulement 10 ans. Avant j'étais avec Louise Attaque, avec qui on a fait quatre disques, puis j'en ai fait deux avec Tarmac, un autre sous le nom Lady Sir... Finalement, un disque tous les deux ans et demi depuis 10 ans, c'est un rythme un peu cohérent (sourire). J'avais décidé d'être seul sur ce disque Vous aimez prendre votre temps ?Oui et comme je fais d'autres projets en même temps, ça prend du temps. Depuis le précédent disque, j'ai fait des musiques de films, de la radio... Il faut avoir le temps d'avoir quelque chose à raconter. Comment est né cet album ? Il est né à la guitare. Parfois j'ai été en studio pour travailler les sons et les matières sonores, là j'ai vraiment fait un disque guitare-voix traditionnel, quelque part. J'ai été l'arranger ici et là mais c'était mon but au départ. Sur mes disques d'avant, il y a un peu plus d'électro, des sonorités plus anglaises avec des choeurs... Là je voulais revenir à ce que j'appelle mon ADN, c'est-à-dire ma guitare. C'est comme ça que je suis arrivé à faire de la musique. C'est mon instrument de prédilection mais aussi mon outil de travail. Le confinement a modifié le rapport des gens à eux-mêmes J'ai lu que pour cet album, vous n'avez pas cherché à écrire sur le confinement. Vous essayiez de vous en échapper ? Je n'ai pas lutté pour ne pas en parler. Le confinement, c'est une période qui a modifié tout le monde car on a tous des masques et tout... Pendant le premier confinement ça a été assez sévère et très nouveau, donc ça modifie le rapport des gens avec eux-mêmes et avec les autres ; et ça a forcément modifié ma manière d'écrire. Après, j'avais déjà entamé ce travail sur l'album et comme j'avais décidé de ne pas faire quelque chose de symphonique, je n'ai pas été coupé dans mon élan. De toute manière, j'avais décidé d'être tout seul pour ce disque donc, d'une certaine manière, ça a poussé le curseur de cette démarche-là encore plus loin. Avec une nouvelle donne de "j'ai quatre enfants à la maison", mais ça ne m'a pas bloqué. Pourtant, le titre "Sans sommeil" semble évoquer le confinement... Tout à fait ! C'est le seul titre qui est malheureusement encore vrai aujourd'hui. C'est assez surligné avec cette idée de rues et de poches vides, et de ces personnes à qui on ne donne plus de monnaie car il n'y a personne dans les rues. On pourrait dire que c'est le titre le plus frontal et le plus social de l'album. Je suis heureux de l'avoir partagé avec Alain Souchon. C'est quelqu'un qui a toujours su croquer l'époque, savoir comment parler tout en y mettant une certaine poésie. Il avait fait une chanson qui s'appelait "Petit tas tombé" sur la même idée. Quand j'ai fait cette chanson, qui est très "confinement" mais qui parle d'un dommage collatéral, c'était évident de l'appeler pour qu'on la chante ensemble. C'était comme boucler la boucle et être complet dans la chanson. Regardez le clip "Tu ne savais pas" : Savoir c'est comprendre "Est-ce que tu sais ?" est le nom de cet album : pourquoi poser cette question ? Parce que savoir c'est comprendre, c'est apprendre, c'est l'éducation. Ça me parait essentiel dans la vie en général. C'est une manière de le dire, comme sur la pochette où il y a un point d'interrogation à l'envers. C'est comme si j'avais un point d'interrogation en collier ou en bandoulière. J'aime bien cette idée de curiosité. C'est un sujet qui est traité de temps en temps dans l'album, cette idée de transmission, de résilience, de savoir et d'être curieux. C'est quelque chose qui me plait et je crois en ça. Finalement, qu'est-ce que l'on sait ? Plus on avance dans le temps, plus on a certaines choses d'acquises. Il y a une chanson qui s'appelle "Tu ne savais pas" qui est sur le temps qui s'écoule. On peut gagner ici et là, mais ça vaut toujours le coup d'interroger les certitudes. Je ne pourrais pas vous dire "ça je sais.." mais je pense qu'on y gagne. Avec mes camarades de Louise Attaque, on avait votre âge quand on a commencé à avoir du succès. Aujourd'hui, j'en ai 48, donc 24 de plus, depuis il y a des choses qui sont restées et j'espère que j'ai toujours l'envie, les yeux qui pétillent, mais c'est plus le même sang qui coule dans les veines. Revenons sur cette pochette. Pourquoi avoir fait ce choix de point d'interrogation à l'envers ? C'est du graphisme. Si je pousse la chose, je pourrais vous dire que c'est moi qui suis à l'envers et pas lui (sourire). Tout le monde peut retourner la pochette en la voyant. C'est important la forme et le fait de dire quelque chose avec les images, c'est pour ça que j'ai fait de nombreux clips. J'étais content de travailler avec Fifou, qui est plus adepte de musiques urbaines, pour cette pochette. Je lui avais dit que j'aimerais qu'il y ait un point d'interrogation quelque part et il est là de plain-pied. Après c'est une histoire de graphisme, une question d'accrocher l'oeil, donc c'est pour ça qu'on l'a mis à l'envers. Je préfère une bonne question à une réponse approximative Il y a cette idée de prendre les choses à revers ?Oui, il y a cette idée de se retourner. J'aime bien cette idée et ça fait se poser une question : est-ce que c'est moi qui suis à l'envers ? Et puis reprendre les choses par un autre biais, ça me plaisait aussi. Vous posez une question, mais sans forcément donner de réponse... Je vous laisse les réponses, c'est ça qui m'intéresse. Je ne suis pas quelqu'un qui estime avoir la vérité, j'ai mon point de vue. Je préfère toujours une bonne question à une réponse approximative voire pas forcément intéressante. Je préfère énoncer les choses et vous laisser la part de réponses. Moi j'ai les miennes mais on n'a pas le même âge donc chacun a les siennes. Dans la variété française, j'aime bien les textes qui vont dans ce sens-là. Dans ce qu'on invente, il doit y avoir quelque chose d'authentique, de vrai. C'est un album très introspectif, plus dépouillé aussi. Il y avait ce besoin de quelque chose plus intime ? Absolument ! De plus intime, de plus travaillé avec des sujets un peu plus défini dans les paroles. Je ne prend pas un sujet en me disant que je vais le traiter de telle façon mais il apparaît en filigrane, en fil conducteur. La transmission, l'élan, la condition humaine... Toutes ces choses-là me plaisent. Et comme je voulais qu'il soit acoustique, c'est pour ça que je l'ai fait en guitare-voix. Ce qui n'empêche pas d'élargir : on se permet de mettre des cordes, des batteries, mais il y a toujours un rapport très naturel au son dans ce disque, que j'ai souhaité dès le départ. Ecoutez "La photo" de Gaëtan Roussel et Camélia Jordana: C'est important de dire quelque chose avec les images C'est un album personnel mais avec pas mal de collaborateurs, ce qui est presque paradoxal ! Je ne trouve pas ça si paradoxal, dans le sens où l'intime est dans le partage. Ça pourrait l'être si j'avais fait beaucoup de coécritures mais là j'ai fait paroles et musiques. Une fois que c'est écrit, on peut partager avec un autre chanteur, on peut demander à un producteur d'avoir sa vision... Ça aurait été plutôt en contradiction si j'avais voulu être plus introspectif et si j'avais coécrit avec les gens. Pensez-vous que c'est nécessaire d'avoir besoin des autres pour parler de soi ? Sans doute ! Ou c'est prendre quelqu'un qui par la main et lui dire "Viens dans cette histoire avec moi". Je pense qu'on a besoin des autres pour avancer. C'est comme ça qu'on avance de toute façon, avec le regard des autres... Est-ce qu'on a besoin des autres pour se raconter ? Je ne sais pas mais on a besoin de se raconter aux autres. Camélia Jordana est une artiste libre En parlant de collaborateurs, il y a deux duos avec Camélia Jordana et Alain Souchon. Comment sont-ils nés ? Avec Alain Souchon, il y avait vraiment l'envie d'aller vers ce monsieur. Cette chanson me semblait intéressante à partager avec lui et je suis heureux qu'il chante moi car en plus il ne chante pas beaucoup les mots des autres. Quant à Camélia, ça fait longtemps que je la connais et que j'aime sa voix. Je l'ai appelée en lui disant que j'aimerais qu'on fasse une chanson ensemble et elle a accepté tout de suite en disant qu'elle voulait faire une ballade. J'ai écrit sur cette idée de photo et ça m'a fait rendre compte que les chansons que je fais sont un peu comme des photos de ce que j'observe. La photo, l'image, fait partie intégrante de ce qu'on dégage. Mais ce n'est pas tout ! C'est aussi la photo de famille, les histoires qu'on se raconte. Il y a des photos qui veulent dire beaucoup et d'autres moins. Cette idée de champ-contrechamp me plaisait beaucoup ! Que représentent ces deux artistes pour vous ? C'est une sorte de passage de flambeau entre vous trois ? Ça serait superbe, ça ne me déplairait pas ! Pour moi, Alain Souchon c'est un phare, un maître dans la chanson, dans son écriture et dans la manière de croquer son époque, de glisser vers la poésie et d'avoir une véracité dingue. Il avait vraiment le bon objectif. Camélia, je trouve très intéressante la manière qu'elle a de gérer sa carrière. Elle vient de faire un album à double facette avec un disque pop et un disque plus sinueux sur lequel il faut un peu plus donner de sa personne pour entrer dans les chansons. Il est moins immédiat et je trouve ça superbe, comme lorsqu'elle va aux Victoires de la Musique et qu'elle fasse une version complètement différente de sa chanson. Elle est très très libre dans sa démarche artistique. Regardez le clip de Gaëtan Roussel, "Je me jette à ton cou" : En parlant d'invités, il y a aussi le clip de "Je me jette à ton cou" avec Daniel Auteuil. Comment a germé l'idée de cette collaboration ? Je travaille avec Daniel Auteuil depuis un an sur son projet musical qui va arriver, un disque et un spectacle musical dont j'ai fait les arrangements musicaux. Tout ça est dans les tiroirs et les starting blocks vu qu'on ne peut pas jouer. Comme je le connais depuis un an, je lui ai demandé s'il voulait faire un clip avec moi. Comme on marche souvent ensemble, je me suis dit que ça allait fonctionner cette idée de clip, avec un petit clin d'oeil avec les films des frères Coen, avec ce côte un peu baroudeur. Ça avait du sens parce que c'est du partage et, en même temps, ça résonne parce que c'est quelqu'un de connu. Et puis j'aime bien cette idée, parce que ça détourne du sens de la chanson, qui est plutôt une histoire d'amour, en une histoire d'amitié. C'est super d'être populaire, encore mieux d'avoir du succès Musicalement, il y a un côté plutôt pop assez lumineux sur le disque. Ce besoin de lumière et d'optimisme, à la fois dans la musique et dans les paroles, était nécessaire ?C'était un souhait ! Je suis persuadé qu'on peut ressentir de la joie en écoutant une musique triste. J'ai toujours été heureux quand la mélodie est ouverte plutôt que fermée, qu'elle aille vers la personne. J'aime bien la simplicité des choses et ça fait partie d'une démarche que j'aime bien avoir : ne pas trop les recroqueviller mais faire qu'elles soient plutôt amples. La chanson "Tour du monde" va dans ce sens-là ? (Il sourit) Elle est XXL celle-là. C'était voulu, il y a un côté rock anglais sur ce titre... Vous chantez "La colère" sur un titre. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, vous met en colère ? Je n'ai pas envie de pointer du doigt, mais une des choses qui me met en colère, c'est quand on n'échange plus, quand il y a du rejet, qu'on ne communique plus et qu'on tourne le dos aux choses. J'ai fait cette chanson parce je suis persuadé qu'on est tous fait de nerfs, de tensions, c'est ce qu'on a à l'intérieur de notre chair. Il faut aller quelque part sinon on deviendrait fou, et il faut garder sa santé mentale. Je parle de comment faire pour tenir parce qu'on est tous en colère, et ça depuis des années. Il y a des fois où c'est normal d'être en colère et de se faire entendre. Ces classiques-là, c'est super de les avoir sur soi Le message de l'album, c'est qu'il faut "aller de l'avant" comme vous le chantez sur "Les matins difficiles" ?Tout à fait ! Et l'envie, parce que je crois que c'est quelque chose d'indispensable. Aller de l'avant et avoir le goût des autres. Vous débuterez votre nouvelle tournée à la rentrée. Etes-vous confiants de sa tenue ? Je ne saurais pas vous dire, je ne suis pas infectiologue. Je touche du bois aussi. J'ai des camarades qui attendent depuis beaucoup plus longtemps que moi donc j'espère pouvoir aller les applaudir eux, avant que ce soit mon tour. Pour l'instant on attend, la tournée est maintenue mais on espère. Ça reviendra ! On ne connait pas le timing ni la forme mais on le sait que ça reviendra. C'est là où il faut tenir ! On en parlait tout à l'heure, mais les tendons ça travaille pour tout le monde là (sourire). C'est super d'être libre et on l'est beaucoup avec Louise Attaque L'année prochaine vous fêterez les 25 ans de la sortie du premier album de Louise Attaque. Quel regard portez-vous sur vos 25 ans de carrière ?Je pense que ce n'est pas à moi de le dire. J'ai essayé de faire mon maximum et j'espère avoir encore de nombreuses années devant moi. Je suis heureux que tôt avec Louise Attaque, même si ça n'a pas été facile à l'époque, on ait eu l'envie de faire des choses ailleurs. On a fait deux albums, puis j'ai fait un disque avec un autre membre de Louise Attaque sous le nom de Tarmac, et ces petits pas de côté ont permis de durer, de s'engueuler très fort mais aussi de se retrouver. Pour chacun, je pense que c'était intéressant de voir ce qui se passe ailleurs. Si on a continué à avancer, c'est un peu grâce à ça. On peut s'attendre à un événement particulier pour les 25 ans ? On n'y a pas réfléchi en ces termes mais pourquoi pas ! Il y a plein de choses qu'on pourrait faire. On a passé des périodes plus délicates que d'autres, maintenant tout va très bien. Ce n'est pas parce que l'un défend son projet solo, comme je le fais actuellement, qu'on ne peut pas se retrouver pour jouer, pour une chanson... C'est super d'être libre et on l'est beaucoup avec Louise Attaque. Si demain on voulait sortir une chanson, on le ferait. Il faut juste trouver quoi raconter. On ne peut pas juste souffler des bougies, il faut trouver un truc à dire (rires). Il faut savoir pourquoi on le fait. Je prépare une émission pour France Télévisions Pourrait-on s'attendre à un retour de Louise Attaque dans les années à venir ?Oui tout à fait, bien sûr ! Ça me plairait bien ! Mais, pareil, il faut trouver comment le dire. On a 25 ans donc on n'est plus les plus jeunes mais il y a un moyen de revenir avec l'envie que ça pétille encore. On a fait un album il y a quatre ans et une tournée qui était superbe. Les parents étaient là, leurs enfants aussi... J'ai quatre enfants et mes belles-filles me disent tout le temps que nos morceaux passent dans les soirées. On a du bol ! Ces classiques-là, c'est super de les avoir sur soi et d'aller les jouer. Il faut juste trouver la manière d'être là. C'est super d'être populaire, c'est encore mieux d'avoir du succès. Ça veut dire qu'on plait à la nouvelle génération. Mis à part ce spectacle avec Daniel Auteuil, quels sont vos prochains projets ? Là je fais une émission de télé pour France Télévisions. J'embarque avec moi un invité dans un van et je fais un portrait de lui et des endroits qu'il aime et qu'il connaît bien, avec un peu de musique à la fin. Il y aura huit émissions. J'ai rencontré Renan Luce et je vais rencontrer Jane Birkin, Raphaël, Laurent Voulzy... Pour l'instant on est en Bretagne et les gens que je rencontre ont, ici ou là, leur propre Bretagne et me la font découvrir. C'est intéressant à faire et c'est nouveau pour moi. On a fait le pilote et ce sera diffusé à partir d'avril. Sympa comme projet (rires) !
Pour en savoir plus, visitez gaetanroussel.com et sa page Facebook.
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